Renforcer l'Adhésion aux Exercices : le sentiment d’efficacité personnel du patient
Introduction
Voici le facteur qui pose le plus souvent problème lorsque des exercices sont prescrits à un patient : le sentiment d’efficacité personnel (self-efficacy). Abordons ce concept pour ce cinquième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices.
Pour cet article, j’aborde deux déterminants à la fois :
le 6e : le sentiment d’efficacité personnelle du patient sur sa capacité à réaliser les exercices proposés ou exercise self-efficacy
le 7e : le sentiment d’efficacité personnelle du patient sur sa capacité à faire face aux difficultés quotidiennes qui pourraient l’empêcher de réaliser les exercices (douleur, état émotionnel, etc.) ou coping and task self-efficacy.
Intérêts
Exercise self-efficacy
Qui n’a jamais entendu un patient lui dire lors d’une séance de suivi :
“Je n’ai pas osé refaire les exercices chez moi, j’avais peur de mal les faire.” ?
Je suis convaincu que tout thérapeute qui prescrit des exercices a déjà vécu cette situation. De plus, les résultats de la revue de portée de Chester et al. (2023) présentent l’exercise self-efficacy comme le déterminant le plus soutenu par la littérature actuelle. Il semble donc inévitable de devoir s’assurer que nos patients se sentent suffisamment confiants dans leur capacité à réaliser les exercices que nous leur proposons en autonomie.
Coping and task self-efficacy
Ce déterminant est évidemment très complémentaire du précédent. En effet, même si un patient a confiance dans sa capacité à réaliser ses exercices, son quotidien peut le rattraper. A nouveau, qui n’a jamais entendu un patient dire :
“Je n’ai pas eu le temps de faire mes exercices” ?
Voyons comment faire en pratique pour diminuer la probabilité de nous retrouver dans ces deux situations.
Travailler la motivation des patients
En Entretien Motivationnel, la motivation se divise en 2 grandes catégories : la confiance et l’importance. Le lien est évident avec les déterminants proposés par Chester et al.
Confiance du patient dans sa capacité à mettre en place son traitement exercise self-efficacy
Je vous propose d’avoir en tête deux dimensions pour travailler ce déterminant dans votre pratique clinique :
évaluer l’exercise self-efficacy
augmenter l’exercise self-efficacy
Pour l’évaluer, attention à ne pas vous laisser piéger par vos a priori. Par exemple, il est facile de se dire qu’une patiente très sportive n’aura aucune difficulté à reproduire un exercice qui vous parait simple. Toutefois, si cette personne est très inquiète de ce qui lui arrive, elle pourra avoir très peur des conséquences si elle “le fait mal”. Une manière de vérifier sera simplement de lui poser la question : “comment vous vous sentez à l’idée de refaire cet exercice seule ?”. Cette question ouverte vous permettra de faire émerger des problématiques que vous n’imaginiez peut-être pas et vous offrira une occasion de les solutionner. Nous essayons souvent d’anticiper les difficultés de nos patients. Mais au lieu de perdre de l’énergie à chercher à imaginer une liste de problèmes possibles, il est plus efficient de demander directement à la personne en face de nous pour s’ajuster au mieux. En effet, si nous passons du temps sur un point pour lequel notre patiente ne se sent pas concernée, nous perdons notre temps et nous risquons aussi de l’ennuyer voire de l’agacer.
Maintenant que nous savons ce qui peut poser problème, voyons comment augmenter l’exercise self-efficacy. Si une problématique particulière comme la peur de mal contrôler un paramètre de l’exercice apparait, l’idéal sera d’abord de demander à la personne quelle astuce elle pourrait utiliser. Si jamais c’est elle qui trouve cette astuce, son sentiment d’efficacité personnel sera d’autant plus renforcé. Si jamais elle ne trouve pas, notre expérience pourra rentrer en jeu. Nous pourrons commencer avec une question comme : “voulez-vous que je vous propose ce qui a déjà aidé des patients à mieux contrôler ce point de l’exercice ?” Puis ensuite lui partager différentes astuces. Et enfin lui demander ce qu’elle pense de ces informations. Vous reconnaitrez sans doute l’outil DDPD ici, un outil que vous connaissez sans doute déjà tellement je ne nomme dans mes différents contenus. Si ce n’est pas le cas, je vous invite à visionner cette série de vidéos au sujet de cet outil oh combien précieux.
Importance de l’effet du traitement pour le patient coping and task self-efficacy
Il arrive très souvent qu’une personne se sente parfaitement capable de réaliser ses exercices, mais que finalement, elle n’y soit pas arrivée. Dans le cas par exemple où elle vous dit qu’elle n’a pas eu le temps : intéressez-vous à l’importance de son problème actuel sur sa vie. L’idée ici c’est que si elle n’a pas trouvé le temps pour ses exercices, c’est qu’elle a accordé son temps à des choses sans doute plus importantes. Mais peut-être que non ! peut-être qu’elle a juste dépensé son temps sur certaines choses par habitude, mais qui ne sont pas aussi importantes. Ma proposition est de l’aider à refaire le point sur ses priorités. Attention à ne pas vous mettre dans la démarche de la convaincre que sa priorité est de s’occuper du problème qui l’amène à vous consulter. C’est à elle d’en décider. Sinon vous risquez de vous heurter au phénomène de réactance. Elle va tout naturellement “résister”. Vous êtes juste là pour l’aider à prendre du recul pour décider elle-même ce qui est le plus important actuellement dans sa vie.
Je vous laisse trouver la formulation qui vous conviendra le mieux, mais voici un exemple de question que vous pourriez lui poser :
“Quel est l’impact de votre problème sur votre vie actuellement ?”
Attention à surveiller votre ton car vous ne voulez pas lui donner l’impression que vous lui faites la morale au risque de générer de la réactance. Par exemple, lui demander : “Est-ce que c’est important pour vous d’aller mieux ?” pourra être très mal interprété par votre patiente et dégrader votre alliance thérapeutique. Le plus simple pour éviter de tomber dans ce genre de piège c’est d’ajuster votre état d’esprit. A partir du moment où votre volonté est de comprendre la personne de manière empathique, vous allez formuler des questions qui iront dans ce sens. Si jamais vous vous sentez frustré par le fait qu’elle n’a pas fait ses exercices, vous risquer employer des formulations qui risqueront être perçues comme jugeantes par votre patiente.
Remettons les choses dans l’ordre
Pour cet article, j’ai suivi l’ordre proposé par le papier de Chester et al. En pratique, il sera plus intéressant d’envisager ces deux points dans l’ordre inverse. En effet, si la problématique de la personne n’est pas suffisamment importante actuellement, qu’elle a d’autres priorités, il sera inutile de savoir si elle se sent capable de reproduire des exercices. Elle ne trouvera pas le temps de les faire de toute manière. Et donc commencez par déterminer si l’importance est suffisante. Evaluer et travailler la confiance vous permettra d’augmenter la probabilité que votre patient ou votre patiente réalise son programme d’exercices. L’Entretien Motivationnel propose un outil qui répond parfaitement aux deux déterminants abordés dans ce blog : les échelles d’importance et de confiance. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous laisse vous renseigner sur ces outils ou même sur la formation. L’Agence EBP propose un cursus de formation complet à l’Entretien Motivationnel. Cette formation vous donnera toutes les clés pour optimiser la probabilité de voir vos patients mettre en place leur traitement, pour travailler votre alliance thérapeutique et aussi vous protéger de l’épuisement professionnel (burnout) notamment en partageant les responsabilités des choix de traitement avec vos patients.
Conclusion
Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous par exemple. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X (anciennement Twitter) et Instagram.
En 2024, je vous propose un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.
Références bibliographiques
Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.
Luszczynska A, Gregajtys A, Abraham C. Effects of a self-efficacy intervention on initiation of recommended exercises in patients with spondylosis. J Aging Phys Act. 2007 Jan;15(1):26-40. doi: 10.1123/japa.15.1.26. PMID: 17387227.