Une vision scapulaire

Une Vision Scapulaire

Adrien Pallot.

Comme nous l’avions déjà évoqué dans l’article La tête dans les épaules, les épaules douloureuses ont une forte prévalence au sein des troubles musculosquelettiques. Le traitement conservateur, incluant des exercices, est le principal traitement de première intention. Seulement, il existe une incertitude concernant l’efficacité des différentes approches et ceci résulte en d’importantes variations des résultats cliniques.

L’une d’elle consiste à s’intéresser aux dyskinésies scapulaires (positions et/ou mouvements scapulaires altérés), étant l’une des étiologies des épaules douloureuses.

Mais pardi, WHY ? But because, comme le répétait y’a encore pas si longtemps que ça Frédéric Srour au Marriott lors de la conférence l’Epaule au TOP : et si c’était la scapula qui n’était pas bien placée ? Lors de la conférence Frédéric montre une vidéo d’une otarie équilibrant un ballon sur son nez.

Dans cette illustration de l’importance du placement scapulaire pour maintenir une tête humérale bien centrée, on voit une otarie se déplaçant dans son lieu de vie tout en contrôlant la position du ballon sur son nez. On en ressort bousculé, la scapula aurait aussi son rôle de centrage correct ! Une brillante idée cette vidéo, bravo !

Et de nombreuses questions en découlent : est-ce qu’il existe des rééducations à l’approche plutôt scapulaire ? Si oui, sont-elles efficaces ? Est-ce une vidéo personnelle de Frédéric un jour de sortie au zoo ? Serait-ce le résultat de son travail en tant que membre de l’Association des Dompteurs Amateurs d’Otarie (ADAO) ? Est-il profondément otariophile ? Que de mystères à percer…

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Alors, il dit quoi ce nouvel article [1] ?

Bah justement, son objectif est de faire une revue systématique et une méta-analyse sur l’efficacité des approches centrées sur la scapula dans les douleurs d’épaules (liées à la coiffe des rotateurs).

C’est-à-dire ?

Les auteurs ont cherché des articles dans des bases de données (une très belle liste) selon des termes de recherche précis, dans les listes de références (ça c’est du bon boulot) et auprès d’experts de la thématique pour identifier tout autre papier publié ou non (et ça, ça envoie du niveau). Bien évidemment, ils ont utilisé les critères PICOS (et même PICOSLS) pour présenter leurs critères d’inclusion. « Euh, excusez-moi, c’est si important qu’ça ? » Carrément ! Ca participe à définir le cadre clinique et les limites de l’extrapolation. Tenez, les voilà, c’est cadeau :

-       Population : adultes avec des signes d’épaules douloureuses liées à la coiffe des rotateurs (dont syndrome sous-acromial) : douleur unilatérale, localisée sur l’acromion, aggravée par les mouvements au-dessus de la tête, généralement avec toute l’amplitude articulaire, une combinaison de tests de conflit positifs, un arc douloureux présent, une reproduction ou une aggravation de la douleur aux tests musculaires résistés, une absence d’implication du rachis cervical.

-     Intervention : approche centrée sur la scapula (exercices, étirements et/ou thérapie manuelle) avec l’intention de changer la biomécanique scapulaire (position, mouvement, force, contrôle moteur et/ou longueur musculaire).

-       Comparateur : tout comparateur général ou non centré sur la scapula.

-   Outcome (critère de jugement) : toute mesure valide de report de la douleur et/ou de l’incapacité (ainsi que de la biomécanique).

-       Schéma d’étude : essais contrôlés randomisés (ECR).

-       Langue : restriction aux articles anglais et espagnols.

-       Cadre : pas de cadre particulier.

 

L’extraction des données a été faite par l’un des auteurs, un deuxième a checké si le premier avait bien fait son taf. En mode contremaitre quoi. La même a été effectuée pour l’évaluation de la qualité méthodologique des articles, utilisant l’échelle PEDro (ça tombe bien, puisque ce sont que des ECR). Il n’a été possible de faire une méta-analyse… « STOP ! » Mais monsieur, on stoppe pas comme ça l’élan d’écriture que je commençais à avoir !! « Si ! Mets ta quoi ? » Ah oui, désolé, une méta-analyse.

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C’est une façon quantitative de rassembler les résultats de plusieurs études, quand cela est possible, entre autres quand c’est homogène. D’ailleurs ici, ils n’ont pu le faire que pour les critères douleur et incapacité, pas pour la biomécanique scapulaire. Le truc c’est de reprendre les données, les pooler (regrouper entre elles) et refaire des stats comme si on n’avait fait qu’une étude.

Ca permet d’envoyer des résultats plus péchus. Mais quand c’est impossible à faire, on se contente d’une synthèse qualitative. Avec des ECR, l’utilisation de l’échelle des niveaux de preuve de van Tulder [2], comme ils l’ont fait pour la biomécanique, est pertinente :

-   Forts : résultats cohérents issus de multiples essais contrôlés randomisés (ECR) de haute qualité,

-     Modérés : résultats cohérents issus de multiples ECR de faible qualité et/ou d'essais cliniques contrôlés non randomisés (ECC) et/ou d'un ECR de haute qualité,

-       Limités : résultats issus d'un ECR et/ou ECC de faible qualité,

-       Conflictuels : résultats incohérents issus de plusieurs essais (ECR et/ou ECC),

-       Sans preuve : résultats n'étant issus ni d'ECR, ni d'ECC.

 

Et ça donne quoi alors ?

Sur les 437 articles trouvés, seulement 4 ont été gardés pour la revue systématique, les autres ne rentraient pas dans les critères d’inclusion. La qualité méthodologique allait de 5 à 7 points sur l’échelle PEDro. Les groupes d’intervention et de comparateur n’étaient pas forcément identiques entre les articles (ajout d’exercices scapulaires dans le groupe intervention, groupes complètement différents, …). Leur tableau 5 rapporte les caractéristiques détaillées des études incluses, je vous renvoie à lui pour plus d’informations. 

Pour la douleur : il y a une différence statistiquement significative en faveur de l’approche centrée sur la scapula (versus une approche plus générale) à court terme (6 semaines) mais pas cliniquement significative (c’est trop petit pour être jugée utile dans la pratique) : différence d’EVA (sur 10 points) = 0,7 avec un intervalle de confiance à 95% (IC95%) : 0,4 à 1,0.

Pour l’incapacité : il y a une différence statistiquement et cliniquement significative entre les deux approches (14 points sur 100 avec un IC95% de 11,2 à 16,8) à court terme (6 semaines), mais pas significative à 3 mois (mais seulement basée sur une étude).

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Enfin, pour la biomécanique scapulaire, il y a des preuves conflictuelles. Les études à haut risque de biais montrent qu’il y a un changement significatif dans le groupe d’approche scapulaire, alors que celles à faible risque de biais rapportent des résultats contradictoires selon les différentes mesures de la biomécanique scapulaire.

Bien évidemment, il y a que trop peu d’études concernant ce sujet, et elles ne sont pas toutes homogènes dans leur comparaison. Difficile de tirer une conclusion sûre surtout pour les effets à long terme (une seule étude s’y est collée). Il est nécessaire que d’autres études viennent renforcer, dans un sens ou dans un autre, ces résultats. Pour la pratique, une orientation clinique claire concernant le traitement conservateur optimal est impossible à statuer. Les auteurs recommandent donc aux cliniciens de prendre en compte pour leur décision thérapeutique leur expérience, les préférences du patient et un mélange des approches (car pour l’instant rien ne se dessine à être supérieur concernant cette thématique). De l’Evidence-Based Practice quoi !

Je rajouterai tout de même, en conclusion, un important écueil à mes yeux concernant ce papier. Si l’on analyse bien le P de PICOS de cet article, ainsi que les critères d’inclusion des articles primaires retenus pour cette revue (le fameux tableau 5 sus-cité), il n’y a aucune information sur le fait qu’il y avait des problématiques scapulaires chez les patients inclus. Or, comme le rapporte Seitz et al. [3], une pathologie de la coiffe peut avoir comme étiologie extrinsèque une dyskinésie scapulaire, mais ce n’est pas la seule étiologie possible et plusieurs peuvent se cumuler. De fait, je pense qu’il aurait fallu être plus spécifique, et n’inclure que le sous-groupe intéressé : celui des épaules douloureuses sur une étiologie de dyskinésie scapulaire. Car la dyskinésie peut aussi être une réponse compensatrice de la douleur et qu’il est sûrement plus probable d’être efficace d’utiliser le bon outil face à la bonne case diagnostique…

 

Adrien Pallot.

 

[1]. Bury J, West M, Chamorro-Moriana G, Littlewood C. Effectiveness of scapula-focused approaches in patients with rotator cuff related shoulder pain: A systematic review and meta-analysis. Man Ther. 2016 Sep;25:35-42.

[2]. van Tulder, M, Furlan, A, Bombardier, C, Bouter, L. Updated method guidelines for systematic reviews in the cochrane collaboration back review group. Spine. 2003; 28, 1290-9

[3]. Seitz AL, McClure PW, Finucane S, Boardman ND 3rd, Michener LA. Mechanisms of rotator cuff tendinopathy: intrinsic, extrinsic, or both? Clin Biomech (Bristol, Avon). 2011 Jan;26(1):1-12.

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