Comment muscler notre Renforcement Positif en Entretien Motivationnel
Par Antoine Deconinck
Durant mes lectures estivales, j’ai parcouru un livre sur l’éducation parentale ; son thème principal était le renforcement positif. Lorsqu’il est question de changement de comportement en psychologie, le renforcement positif fait partie des stratégies les plus efficaces. Je me suis alors posé la question sur les liens existants entre le renforcement positif et l’Entretien Motivationnel. Lorsque nous pratiquons l’Entretien Motivationnel avec nos patients, nous cherchons à les accompagner vers la mise en place de nouveaux comportements importants pour eux. C’est pour cette raison que j’ai pensé qu’en tant que kinésithérapeute, savoir utiliser le renforcement positif à bon escient peut nous aider à favoriser ces changements de comportement chez nos patients.
Imaginons la situation clinique suivante : vous prenez en soin un patient qui ressent une douleur à l’épaule lorsqu’il tend le bras en avant. Au cours de la première séance, il vous a exprimé sa volonté d’améliorer ce mouvement qui le gêne beaucoup dans son quotidien, pour attraper une bouteille d’eau par exemple. Pendant la séance, il est parvenu à reproduire ce mouvement en décubitus dorsal sans déclencher de douleur. Vous avez alors demandé à votre patient de reproduire cet exercice chez lui, en faisant au moins 5 séries de 10 répétitions par jour pour que son épaule devienne de moins en moins sensible. Lorsque vous le revoyez la semaine d’après, il est déçu car il n’a pas obtenu les progrès qu’il espérait. Il vous explique que son épaule lui fait toujours aussi mal, même s’il a réalisé son exercice. En explorant un peu plus en profondeur, vous comprenez qu’il n’a fait l’exercice que 2 fois en 1 semaine, avec une seule série de 10 répétitions à chaque fois.
Dans cette situation, nous pouvons être tenté de justifier l’absence d’efficacité ressentie par le patient par son manque d’implication. Nous pouvons lui reprocher de ne pas avoir respecté les consignes, voire même tenter de le faire culpabiliser pour le manque d’intérêt qu’il porte à sa guérison, avant d’essayer de le convaincre d’en faire plus.
Les raisons qui peuvent nous conduire à adopter ces comportements proviennent des émotions négatives que cette situation génère chez nous. Voici quelques exemples :
- La frustration que le patient ne suive pas nos recommandations.
- La peur qu’il nous reproche l’échec du traitement.
- L’énervement de constater que notre message ne passe pas auprès du patient.
Pourtant, si notre objectif est d’aider le patient à réaliser plus souvent ses exercices, alors une telle réaction risque d’être contre-productive...
Des stratégies inefficaces
Je vous invite à vous projeter dans une situation beaucoup moins collaborative, dans laquelle vous jouez le rôle d’un parent qui cherche à favoriser l’adoption d’un nouveau comportement à son enfant, par exemple : se laver les dents tout seul chaque soir. En tant que parent, vous connaissez l’importance d’une bonne hygiène bucco-dentaire. Pourtant, vous avez beau l’expliquer encore et encore à votre enfant, la majorité du temps vous finissez par lui brosser les dents vous-même. Il y a bien quelques soirs où il le fait seul, mais ça reste exceptionnel.
Les leçons de morale, les menaces sur les risques encourus, les punitions, etc., vous avez tout essayé, sans succès. Pire, c’est devenu un tel sujet de tension que vous avez l’impression que s’il ne le fait pas, c’est juste pour vous énerver.
Dans cette situation, vous expérimentez le phénomène de réactance chez votre enfant. C’est à dire que plus vous lui dites ce qu’il doit faire sans lui donner le sentiment d’avoir le choix, plus il va faire l’inverse dans un but inconscient de préserver son libre-arbitre.
Reprenons le cas de notre patient. La décision de mettre en place des exercices pour améliorer les douleurs d’épaule s’est faite en accord avec le patient, dans le but de répondre à un objectif important pour lui. Si nous cherchons à le convaincre de faire plus d’exercices et que nous lui faisons ressentir notre frustration, nous prenons le risque de nous heurter à sa réactance, de la même manière qu’un parent avec son enfant qui ne se brosse pas les dents. Au final, en voulant l’aider à mettre en place ses exercices, nous l’éloignons de cet objectif bien malgré nous.
Certains éléments évoqués dans ces deux situations pourraient nous aider à percevoir une autre voie possible, bien plus prometteuse.
Le renforcement positif, la clé de voûte du soutien du changement
Comme nous l’avons vu dans d’autres blogs, l’Entretien Motivationnel propose déjà des stratégies qui permettent de faire face à ce genre de difficultés : faire preuve de non-jugement, contrôler son réflexe correcteur, utiliser l’écoute réflective, proposer un DDPD, etc.. Le renforcement positif est une autre option que nous pouvons ajouter pour augmenter l’efficacité de notre intervention.
Le renforcement positif consiste à fournir une récompense à la personne lorsqu’elle parvient à mettre en place le comportement souhaité. Une récompense constitue quelque chose d'agréable pour cette personne, qui s’associe de manière positive au comportement adopté. On parle alors de renforçateur. Des recherches en psychologie ont montré que lorsqu’un comportement était suivi d’un renforçateur, il avait plus de chance de se produire de nouveau à l’avenir. Afin de l’utiliser au mieux, certains principes peuvent être appliqués :
- Le renforçateur doit être explicitement relié au comportement que nous souhaitons renforcer.
- Plus le renforçateur arrive tôt après la survenue du comportement, mieux c’est.
- Plus le comportement se produit souvent, plus les occasions de le renforcer sont nombreuses et plus la probabilité qu’il survienne de plus en plus souvent augmente.
Pour revenir à la situation clinique précédente, plutôt que de souligner le fait que le patient n’a pas fait autant d’exercices que vous lui avez prescrit, nous pouvons mettre en valeur le fait qu’il soit parvenu à les faire 2 fois. Bien sûr, ce n’est pas suffisant pour obtenir une évolution clinique positive. Pour autant, se concentrer sur ces réussites et les renforcer reste une meilleure stratégie pour que le patient réalise les exercices plus souvent. Tout comme féliciter son enfant les soirs où il se brosse les dents seul peut avoir beaucoup plus d’impact que de lui reprocher de ne pas le faire les autres soirs.
OK, mais concrètement ?!? Valorisons !!!
Alors comment pouvons-nous nous y prendre pour renforcer un comportement ?
Une récompense possible, qui peut être utilisée comme renforçateur pour les jeunes enfants, est de les féliciter, les complimenter abondamment (sans hésiter à bien en rajouter !). Cependant, en Entretien Motivationnel, nous faisons le choix d’éviter les compliments pour privilégier les valorisations. Nous faisons ce choix pour que le patient réalise le changement pour lui, et non pour nous. Nous évitons de lui communiquer nos jugements en prenant une position supérieure, comme c’est le cas avec les compliments.
Par exemple, à la place de dire “C’est très bien, je suis content que vous ayez fait vos exercices !”, nous préférons avoir recours à une valorisation, comme “Vous avez réussi à réaliser vos exercices, vous devez être content de vous”.
Une valorisation consiste à identifier et reconnaître explicitement quelque chose chez l’autre qui va permettre de renforcer son sentiment d'efficacité personnelle. Pour valoriser, nous nous centrons sur l’autre. Ainsi, techniquement, les valorisations ne commencent pas par “je”, ce qui centre nos propos plus sur nous que sur notre patient, mais par “vous”. Nous manifestons alors tout l’intérêt que nous portons à notre patient, notre écoute et notre compréhension de sa situation.
Un autre point important, lorsque nous valorisons : nous devons rester authentique en mettant en lumière ce qui a vraiment de la valeur à nos yeux. Nous pouvons valoriser les efforts de la personne, ses forces ou qualités, et ses réussites présentes ou passées ; globalement tout ce que nous constatons chez le patient qui gagnerait à recevoir un éclairage positif.
Quelques idées bonus
Nous avons vu plus haut que pour optimiser notre renforcement positif, le renforçateur doit survenir le plus tôt possible après la survenue du comportement. Malheureusement, en kinésithérapie, nous avons l’occasion de valoriser notre patient seulement lors des séances. Et lorsque le comportement ciblé est la mise en place d’exercices en autonomie à la maison, nous ne sommes donc pas là pour le valoriser directement après leur réalisation. Dans ce cas, il est possible en Entretien Motivationnel de favoriser la mise en place d’autres renforçateurs lors de la phase de planification. Ainsi, nous pouvons proposer au patient de s’auto-valoriser. Plutôt que de se dire “j’ai fait mes exercices mais je ne les avais pas faits depuis 3 jours”, le patient peut prendre l’habitude de penser “je suis fier d’avoir réalisé mes exercices aujourd’hui”. En l’invitant à porter un regard positif sur ces efforts, nous renforçons aussi sa confiance dans sa capacité à poursuivre son parcours sur le chemin du changement.
Une autre stratégie possible, en plus de l’auto-valorisation, pourrait être de faire suivre la réalisation des exercices par une récompense que le patient choisirait lui-même. Par exemple, il pourrait s’autoriser un carré de chocolat à chaque fois qu’il les fait (et uniquement à ce moment-là). Un peu à la façon des bons points pour les enfants, le but est ici de se récompenser soi-même en associant le comportement à un plaisir immédiat.
Et s'il n’y a aucun comportement à renforcer ?
Mais si jamais le patient ne réalise pas d’exercice chez lui, et ne semble pas prêt à fournir des efforts pour aller dans ce sens ? En complément, une autre stratégie inspirée de l’éducation parentale peut nous aider, après s’être assuré avec lui que ce changement reste son objectif et qu’il a une motivation suffisante pour le faire.
Lorsqu’un enfant ne réalise jamais le comportement souhaité par ses parents, il est préconisé de recourir à des jeux de rôle. Ainsi, l’enfant est invité à adopter ce comportement sous la forme de jeu, sans aucune conséquence négative s’il ne le fait pas, afin de pouvoir le renforcer dès qu’il se produit. En procédant ainsi de manière régulière, la probabilité que le comportement commence à apparaître spontanément en condition réelle augmente fortement. Pour l’enfant qui ne se brosse pas les dents tout seul de notre exemple, les parents pourraient lui proposer de jouer au « jeu du brossage de dents » plusieurs fois par jour, où le but est de faire semblant de se brosser les dents. Ils peuvent le rendre amusant en proposant de le faire avec n’importe quel objet qui lui passe sous la main plutôt qu’avec une brosse à dent. En n’insistant pas les fois où l’enfant refuse et en le félicitant vivement à chaque fois qu’il le réalise, les parents augmentent ainsi les chances que l’enfant commence à se brosser les dents seul le soir.
Et cette stratégie, nous pouvons facilement l’appliquer en kinésithérapie ! Les séances avec nos patients sont un moment idéal pour tester les exercices avec eux, à la manière d’un jeu de rôleet en profiter pour augmenter leur confiance dans leur capacité de les reproduire à la maison. Nous pouvons leur demander par exemple de réaliser les exercices comme s’ils étaient seuls chez eux, sans oublier bien sûr de les valoriser à la fin. Nous renforçons ainsi leur confiance dans leurssentiment d’efficacité personnel capacités et soutenons leur autonomie. Il ne faut pas hésiter à le faire souvent au départ, avec des séances relativement rapprochées, puis de les espacer petit à petit au fur et à mesure que le patient devient de plus en plus autonome. Ca peut être aussi l’occasion de rendre les exercices plus amusants en les transformant en une sorte de jeu avec le kiné (se lancer la balle…)
Veillons à ne pas tomber dans la manipulation !
Lorsque nous cherchons à utiliser le renforcement positif avec nos patients, l’objectif n’est clairement pas de manipuler l’autre pour qu’il se comporte comme nous le voudrions. Car en effet, c’est exactement ce qu’il se passe dans la situation où le parent cherche à façonner le comportement de son enfant, sans que celui-ci n’ait son mot à dire.
Ainsi, lorsque nous l’utilisons en séance, certaines précautions s’imposent pour ne pas tomber dans cet écueil. Le plus important est que le changement de comportement ciblé soit déterminé au préalable et en accord avec notre patient. C’est ce que nous faisons lors de la tâche de la focalisation (blog sur ce sujet), où nous nous mettons d’accord ensemble, en partenariat, sur l’objectif à atteindre et sur le moyen que nous allons utiliser pour l’atteindre. L’autre élément clé est d’agir avec altruisme (blog sur l’altruisme), de manière désintéressée, avec l’intention sincère d’aider l’autre. Ces deux conditions réunies, le choix des outils que nous utiliserons (comme le renforcement positif) se fera forcément dans le respect de l’autonomie et du libre arbitre de votre patient.
Conclusion
Faisons du bien à nos patients, valorisons-les !!!
Références bibliographiques
KAZDIN, A. (2023). Eduquer sans s'épuiser : Les outils pour une éducation positive qui pose des limites. Solar.
MILLER, W., & ROLLNICK, S. (2013). L'Entretien Motivationnel : Aider la personne à engager le changement. interéditions.