Blue Monday - Reconnaître les signes de dépression clinique et les risques de suicide

Par Camille Leteurtre

Blue Monday… Le 3ème lundi du mois de Janvier a été associé (le pauvre) avec l’idée qu’il s’agit du jour le plus déprimant de l’année. Pourquoi ? « Gueule de bois » prolongée des fêtes de fin d’année, symptômes de manque suivant l’abondance de sucre et de chocolat, journées encore courtes et froides du creux l’hiver, auto-pression et/ou pressions sociales des résolutions de la nouvelle année, etc.

Cette croyance est évidemment fausse. Et personnellement, je préfère associer le Blue Monday au morceau de New Order mis à fond dans mon salon !

Cela dit, l’occasion est belle pour réviser nos connaissances :

Comment évaluez-vous les signes de dépression cliniques chez vos patients et les risques de suicide et/ou d’automutilation ?

(Pas très gai ? On monte le volume “How does it feel / To treat me like you do? / …” )

Il est normal de ressentir de la détresse lorsque nous faisons l’expérience d’une douleur et/ou d’une maladie qui affecte notre capacité à poursuivre nos activités. Nous pouvons avoir des sensations de tristesse, de peurs, d’inquiétudes vis-à-vis du futur, etc.

Discuter de ces aspects de la douleur/maladie avec les patients fait partir du soin kinésithérapique. Nous pouvons les valider et explorer comment est-ce que les patients gèrent ces difficultés. Ce travail est central dès lors que nous décidons d’adopter une vision biopsychosociale de la santé.

Reconnaître les signes de dépression clinique et les risques de suicide relève aussi de notre responsabilité. Alors, révisons :

Certains signes de dépression clinique sont :

  • Une forte perte de l’estime de soi :

    • « Je suis devenu complétement inutile »

    • « Ça ne sert à rien que j’essaye, je vais échouer de toute façon … »

  • Une culpabilité qui paralyse et entraine le retrait des activités sociales :

    • « Je suis un boulet pour tout le monde » 

    • « Tout est de ma faute, je gâche toujours tout »

  • Un découragement extrême qui peut aller jusqu’à affecter les activités de soin du quotidien et engendrer de l’auto-négligence :

    • Sauter des repas

    • Ne pas se laver pendant plusieurs jours

    • Ne pas s’habiller

    • Rester au lit

    • Etc.

Tous les signes ne sont pas toujours aussi évidents que les exemples proposés ci-dessus. Quelles qu’elles soient, lorsque la personne en face de vous dit certaines choses qui vous mettent la puce à l’oreille, il devient important d’évaluer les risques de suicide.

Voici quelques suggestions.

  • Évaluer les pensées d’autodestruction :

    • « Avez-vous parfois le sentiment que ne plus être là serait une solution ? »

    • « Vous arrive-t-il de penser que ne plus exister serait mieux ? »

    • « Est-ce que vous blesser semblerait parfois vous apporter un soulagement ? »

  • Évaluer leur fréquence :

    • « Est-ce que c’est fréquent ? »

    • « Cela vous arrive-t-il souvent ? »

  • Évaluer si un plan d’action est en place :

    • « Avez-vous déjà pensé à comment vous feriez ? »

    • « Avez-vous déjà fait quelque chose qui vous rapproche du suicide ? »

  • Évaluer les facteurs de sécurité :

    • « Qu’est-ce qui vous a arrêté jusqu’à présent ? »

    • « Quels sont les choses qui vous aident à rester en sécurité ? »

  • Évaluer les stratégies de sécurité :

    • « Que faites-vous quand ces pensées sont présentes ? »

    • « A qui parlez-vous lorsque vous traverser un moment où ces pensées sont dominantes ? »

    • « Vous sentez-vous capable de vous garder en sécurité aujourd’hui ? »

Les pensées suicidaires sont fréquentes. En avoir ne veut pas dire que le passage à l’action se fera. Discuter de la normalité de la détresse ressentie dans le cadre d’une douleur/maladie affectant les activités importantes de la vie valide l’expérience de la personne. Elle la normalise. Cet échange permet aussi d’identifier comment soutenir cette personne dans son parcours de soin et quels professionnels impliquer.

Rappel important : demander à une personne si elle a des pensées suicidaires et si elle a un plan d’action n’accroit pas le risque de passage à l’acte.

Nous ne devons donc jamais hésiter à aborder ce sujet. En effet, si la personne présente des risques, il est urgent de mettre un plan de sécurité en place. Ce plan dépendra du risque identifié :

  • Si le risque est imminent :

    • Appelez les urgences et ne laissez pas la personne repartir seule.

  • Si le risque n’est pas imminent et que vous avez identifié ensemble des facteurs de sécurité :

    • Assurez-vous que le patient sait quoi faire/qui contacter en cas de crise (un membre de sa famille, un ami)

    • Fournissez-lui les coordonnées d’un service d’urgence.

  • Discutez de la possibilité de contacter un psychologue et dans tous les cas, informez le médecin généraliste.

Le saviez-vous ? En France, le numéro national de prévention au suicide est le 3114 (https://3114.fr).

Ces conversations avec les patients sont difficiles et potentiellement source de détresse pour nous aussi, cliniciens. Je vous recommande de vous familiariser avec certaines tournures de phrases, celles qui vous conviennent, afin de vous sentir un peu plus à l’aise le jour où vous en aurez besoin. Après coup, en faire l’objet d’une réflexion avec un pair vous aidera à identifier ce qui s’est bien passé, ce que vous auriez pu faire différemment pour améliorer le déroulement de la séance, mais aussi pour débriefer sur votre propre ressenti de la situation.

& Pour finir : New Order - Blue Monday (la version longue, évidemment !)

Camille.

Toutes ces notions, ainsi que les difficultés que nous, cliniciens non-psychologues, nous pouvons rencontrer à les explorer avec le patient seront abordées dans le cours enseigné par Tamar Pincus (Professeure en psychologie) et Camille Leteurtre (Kinésithérapeute - MSc).

Pour vous inscrire : Formation Tamar Pincus & Camille Leteurtre

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