Renforcer l'Adhésion aux Exercices : l’avis du patient sur le traitement proposé

Par Guillaume Deville

Introduction

Comment un simple acte pendant la consultation peut-il influencer l'adhérence aux exercices prescrits ? Découvrons-le dans ce septième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés à une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices. Parlons du 8e déterminant : la perception du patient à propos de l’efficacité du traitement proposé.

Intérêts

L’illusion de l’expert

Un confrère m’a écrit récemment sur X : “Ça sert à quoi d’aller voir un kiné si c’est pour ne pas suivre ses recommandations ?” En effet, nous pourrions penser que les patients arrivent sans avis et sans préférence à propos du traitement que nous allons leur proposer. Mais est-ce la réalité de notre pratique ? Chaque professionnel qui prescrit des exercices ou tout autre changement de comportement à ses patients connaît la réponse. Je viens de citer deux des trois composantes de la pratique fondée sur les preuves : l’avis et les préférences du patient, et l’expérience du thérapeute. Spoiler alert : les données de la littérature confirment que les patients ne suivent pas si souvent les recommandations des soignants. En effet, jusqu’à 70% des patients n’appliquent pas les recommandations de leurs soignants lorsqu’elles impliquent des changements de comportement ou des modifications d’habitudes de vie (Folkvord et al. 2024).

Si nous revenons à notre déterminant du jour, il semble logique qu’un patient qui doute de l’efficacité d’un exercice présente plus de risques de ne pas le pratiquer. Voici quelques exemples de situations que nous pouvons rencontrer :

  • Le patient avait déjà en tête qu’un exercice comme celui que vous lui proposez était la bonne stratégie. Elle a déjà fonctionné pour lui dans le passé.

  • Le patient ne pensait pas du tout à un exercice en venant vous voir…

    • mais ça lui semble logique après vos explications.

    • mais pendant la séance, il a ressenti une amélioration de ses symptômes, significative pour lui, après l’avoir réalisé. Il a vécu l’expérience de l’intérêt de l’exercice.

    • et l’exercice n’apporte aucune modification sur ses symptômes sur le moment. Vous savez qu’il devra le pratiquer plusieurs semaines avant d’en ressentir les bénéfices.

L’espoir

Une autre dimension se combine avec les éléments précédents : l’espoir du patient sur la possibilité de résoudre son problème. J’ai longtemps eu du mal à comprendre pourquoi un patient lombalgique pouvait ne souhaiter que des techniques passives qui n’augmentent pas sa probabilité de guérir; pourquoi il ne cherche pas à utiliser des stratégies actives qui peuvent lui permettre de résoudre son problème, comme faire des exercices. Et j’ai fini par comprendre. Si vous avez mal au dos, qu’on vous fait croire que c’est parce que vous avez de l’arthrose, et que vous savez que l’arthrose ne fait qu’augmenter avec l’âge, le résultat : vous n’avez aucun espoir d’améliorer votre problème. Tout ce que vous pouvez espérer c’est du soulagement à court terme. Dans ce cas, il semble logique de souhaiter un massage, par exemple, pour se sentir mieux un moment, plutôt que d’avoir envie de trouver du temps pour pratiquer un exercice qui va avoir le même effet temporaire et qui sera bien moins agréable, avouons-le.

Au final, pour augmenter la probabilité qu’un patient pratique des exercices à la maison, nous avons besoin de connaître son avis sur l’intérêt de ces exercices et aussi l’espoir qu’il a dans la possibilité de guérison de son problème.

Comment savoir ce qu’un patient pense de l’efficacité de pratiquer des exercices à la maison ?

Le piège de nos a priori

La réponse semble évidente : il suffit de lui demander ! Et pourtant, nous avons souvent l’habitude d’essayer de deviner. Nous sommes à l’affût de mots ou d’attitudes non-verbales qui vont nous donner une idée sur l’opinion du patient. Et parfois, nous sommes influencés par nos a priori en rapport à son âge, son apparence, son comportement, ou toute autre caractéristique que nous pourrions associer plus ou moins consciemment à la probabilité que cette personne pratique des exercices en autonomie. La littérature nous dit pourtant que nous ne sommes pas bons pour prédire quel patient va pratiquer ou non ses exercices (Wright et al. 2014).

Notre état d’esprit peut tout changer

Pourquoi tombons-nous dans ce panneau ? Peut-être que nous sommes malheureusement conditionnés par le fait que tout le monde ne nous dit pas toujours la vérité. Et donc, nous n’avons pas confiance dans la réponse du patient. Si c’est le cas, comment pourrions-nous augmenter la probabilité que nos patients nous disent réellement ce qu’ils pensent ? Adopter l’état d’esprit proposé par l’Entretien Motivationnel pour créer une atmosphère de non-jugement, d’acceptation de l’autre et un respect inconditionnel du libre-arbitre peut nous aider. Une personne qui ne craint pas notre jugement et qui sait que la relation ne sera pas dégradée si elle exprime un avis opposé au nôtre aura moins de barrières à dire ce qu’elle pense réellement.

L’outil clé : Demander-Demander-Partager-Demander

Si une personne n’a pas d’espoir de pouvoir améliorer durablement son problème avec des exercices, nous pouvons lui expliquer nos connaissances et notre expérience à ce sujet. Toutefois, la façon de nous y prendre peut modifier la manière dont la personne va l’accueillir. L’outil Demander-Demander-Partager-Demander (DDPD) de l’Entretien Motivationnel nous permet de le faire en respectant l’état d’esprit évoqué précédemment. Nous allons commencer avec le 1er “Demander” :

“Que pensez-vous de l’intérêt de l’exercice que vous venez de faire pour votre problème ?”

Si la personne n’est pas convaincue par cette idée, et qu’elle ose vous le dire car vous avez su installer une atmosphère propice depuis le début de la consultation, vous pouvez poursuivre avec le 2e “Demander” :

“Est-ce que vous aimeriez savoir ce que j’ai déjà pu constater pour d’autres patients dans votre situation avec cet exercice ?”

Si la personne est intéressée, vous pourrez continuer avec le “Partager” : 

“Lorsque j’ai rencontré des patients avec le même problème que vous, et que l’exercice se passait comme il s’est passé quand vous l’avez fait à l’instant, à force de le pratiquer, ces personnes finissaient par résoudre leur problème, même si elles avaient de l’arthrose.”

Et finir avec le dernier “Demander” :

“Qu’est-ce que vous pensez de cette information ?”

Vous allez pouvoir découvrir ce que le patient pense réellement de l’exercice que vous aimeriez lui proposer. Et il aura plus de chances d’intégrer l’information que vous lui avez transmise dans son analyse de l’intérêt de l’exercice. L’utilisation du DDPD comporte beaucoup de variations. Pour en savoir plus sur cet outil de communication, découvrez cette série de 3 vidéos courtes.

Et si ça ne suffit pas ?

Si la personne n’est toujours pas convaincue de l’intérêt des exercices pour elle, elle a parfaitement le droit de choisir son mode de traitement. Tout comme vous avez le droit de choisir le traitement que vous proposez à vos patients. Une prise de décision partagée nécessite l’accord des deux parties.

Vérifier que le patient ne souhaite pas pratiquer d’exercices

Pour ne pas renoncer trop vite, nous pouvons vérifier qu’il ne manque pas des données au patient :

“De quoi auriez-vous besoin pour envisager d’essayer de pratiquer l’exercice que nous venons de voir ensemble ?”

Il est possible que votre patient vous donne la pièce manquante du puzzle. Et parfois, il sera très facile de lui apporter cette pièce. Tout ce qu’il manquait c’était de comprendre encore mieux le point de vue de la personne. Et parfois, vous n’arriverez pas à trouver une stratégie de traitement qui convient aux deux parties.

Le syndrome du sauveur

Il est crucial et libérateur selon moi de comprendre que ce n’est pas un échec lorsque nous ne sommes pas le bon thérapeute pour une personne. Contrairement au conditionnement implicite de nos études, pendant lesquelles nous perdons des points à chaque fois que nous n’avons pas toutes les bonnes réponses, nous ne sommes pas censés sauver tout le monde #SyndromeDuSauveur

La mauvaise compréhension de la pratique EBP

Même si nous sommes convaincus de proposer LA meilleure technique possible à un patient, LA technique soutenue par la science, ça ne signifie pas que c’est la meilleure technique pour lui. Si quelqu’un tente de vous le faire croire, ça signifie qu’il n’a pas compris le principe de la pratique EBP, la pratique fondée sur les preuves. Encore une fois, les données de la science ne sont pas le seul paramètre à considérer. Et en plus de ça, la science ne se limite pas aux études quantitatives. En effet, les études quantitatives nous offrent des données pour une population de patients qui ne correspond souvent pas exactement à la personne en face de nous. Et pour finir, les données ne sont que des probabilités : même si une technique a 95% de chances d’être plus efficace qu’une autre, qu’est-ce qui nous dit que ce patient ne fait pas partie des 5% ? Alors oui, les données quantitatives sont un des éléments importants à considérer, mais il existe beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte. Avoir réussi à me retirer ces œillères depuis plusieurs années m’aide beaucoup pour aider plus de patients, me rend plus humble et m’aide à beaucoup mieux vivre les situations cliniques complexes, sans pour autant me rendre fainéant, bien au contraire !

Se quitter “bons amis”

Si jamais nous arrivons à la conclusion que nous ne pourrons pas nous mettre d’accord sur la stratégie de traitement, encore faut-il savoir comment stopper la relation thérapeutique le plus sereinement possible. Voici une proposition de formulation que vous pourrez adapter avec vos propres mots :

“Je comprends tout à fait les raisons qui font que vous préférez {une technique passive}. À votre place, avec les informations que vous avez reçues, et ce que vous vivez, je penserais sans aucun doute la même chose que vous. Toutefois, mon expérience et mes connaissances me font penser que cette stratégie n’est pas assez efficace par rapport à celle de pratiquer des exercices. Non seulement je n’ai pas pratiqué {la technique passive} depuis très longtemps, et en plus je ne souhaite pas l’appliquer en ayant le sentiment de passer du temps à faire quelque chose qui me semble pas assez efficace. J’en conclus que je ne suis pas le bon thérapeute pour vous et je serai ravi de vous aider à trouver une consœur ou un collègue qui pourra mieux vous correspondre si vous le souhaitez.”

Conclusion

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X et Instagram.

Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Références

Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.

Folkvord F, Würth AR, van Houten K, Liefveld AR, Carlson JI, Bol N, Krahmer E, Beets G, Ollerton RD, Turk E, Hrubos-Strøm H, Nahoui H, Einvik G, Schirmer H, Moen A, Barrio-Cortes J, Merino-Barbancho B, Arroyo P, Fico G, Midão L, Sampaio R, Fonseca JA, Geipel K, Scheckenbach K, de Ruiter LE, Lupiáñez-Villanueva F. A systematic review on experimental studies about patient adherence to treatment. Pharmacol Res Perspect. 2024 Feb;12(1):e1166. doi: 10.1002/prp2.1166. PMID: 38204399; PMCID: PMC10782217.

Wright BJ, Galtieri NJ, Fell M. Non-adherence to prescribed home rehabilitation exercises for musculoskeletal injuries: the role of the patient-practitioner relationship. J Rehabil Med. 2014 Feb;46(2):153-8. doi: 10.2340/16501977-1241. PMID: 24322559.

Miller, W., & Rollnick, S. (2013). L'Entretien Motivationnel : Aider la personne à engager le changement. Interéditions.

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