Renforcer l'Adhésion aux Exercices : L’écoute active

Comment un simple acte pendant la consultation peut-il influencer l'adhérence aux exercices prescrits ? Découvrons-le dans ce neuvième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices. Parlons du 10e déterminant : le kinésithérapeute établit une communication efficace avec son patient. Il utilise l’écoute active, se montre intéressé et prend en compte une liste complète des problèmes du patient, il clarifie ses doutes et répond à ses questions.

Carl Rogers est le père fondateur du concept d’écoute active qu’il a développé dans le cadre de son approche centrée sur la personne en psychothérapie (Rogers 1951). Rogers croyait qu'une communication efficace doit être intentionnelle et empathique, pour permettre à l’autre de s'exprimer pleinement et librement. Il mettait l'accent sur l'importance de comprendre le point de vue de l'autre. Rogers proposait d’éclaircir cette compréhension en reflétant les sentiments et les pensées exprimés par le patient. Il suggérait également d’autres outils : maintenir un contact visuel, acquiescer, poser des questions ouvertes et résumer ce que l'autre a dit. 

L’Entretien Motivationnel s’appuie sur la philosophie de Carl Rogers pour accompagner les personnes dans des situations de changement de comportement (Miller & Rollnick 2023). Une bonne pratique de l’Entretien Motivationnel nécessite de combiner des outils de communication à un état d’esprit particulier, tout en suivant des étapes précises. Les outils favorables à l’écoute active sont notamment les questions ouvertes, les reflets et les résumés. Concernant l’état d’esprit, les notions clé sont l’empathie, le non-jugement et l’acceptation de l’autre, l’altruisme et la collaboration.

Les intérêts de pratiquer l’écoute active

L’écoute active crée un climat de confiance avec un thérapeute qui fait ressentir au patient que ses opinions et ses comportements ne seront pas jugés. Cette atmosphère autorise le patient à partager sans retenue des informations qui pourront être décisives pour le diagnostic et pour le choix du traitement. Une compréhension précise des besoins spécifiques de la personne permettra à son thérapeute de mieux sélectionner les options de traitement qu’il pourra lui présenter. Le patient pourra analyser librement ces options de traitement en fonction de ses préférence et de son contexte singulier. Et surtout, il pourra partager sereinement son analyse avec son thérapeute afin de déterminer avec lui la meilleure option de traitement pour lui à ce moment précis de sa vie. En effet, pour augmenter la probabilité qu’un patiente réalise ses exercices à la maison, il semble important de vérifier que cette stratégie est adaptée à son contexte du moment. En utilisant l’écoute active nous pourrons également vérifier ce que la personne veut dire et ce qu’elle a compris de nos propos. En d’autres termes elle évite les malentendus, un avantage évident pour le bon déroulement d’une prise en soins.

Comment pratiquer l’écoute active

Voici quelques techniques clés :

  • Écouter sans interrompre : Donnez au patient tout le temps nécessaire pour s’exprimer sans le presser ou le couper. Pour y parvenir, nous devons développer notre capacité à utiliser un outil précieux : le silence. En pratique : laisser un silence après avoir fait un reflet ou posé une question et ne pas profiter du moindre moment où le patient reprend sa respiration ou bien réfléchit pour reprendre la parole. 

  • Reformuler pour clarifier : Après que le patient a parlé, reformuler ses propos pour confirmer notre compréhension et lui montré notre engagement dans la conversation. Lui montrer notre réel intérêt à propos de ses préoccupations.

  • Poser des questions ouvertes : Encouragez le patient à parler davantage, à continuer d’élaborer sa pensée en posant des questions qui requièrent plus qu'une réponse par oui ou non. Par exemple, demander "Que pensez-vous de réaliser cet exercice chez vous d’ici notre prochaine séance ?" plutôt que "Est-ce que vous pouvez pratiquer cet exercice d’ici notre prochaine séance ?".

  • Maintenir le contact visuel et montrer de l'empathie : Le langage corporel joue un rôle crucial dans l'écoute active. Le contact visuel et une posture ouverte peuvent renforcer le sentiment de connexion et de compréhension. Alerte avis très personnel : j’ai la conviction que si notre état d’esprit est de vraiment vouloir tout faire pour aider la personne en face de nous en respectant les principes de non-jugement, d’acceptation de l’autre, d’empathie et de collaboration, notre langage corporel va naturellement refléter cet état d’esprit. C’est peut-être une erreur, mais personnellement je fais le choix de ne pas surveiller mon langage corporel car je mise sur mon authenticité et sur le fait que pendant une séance, toute ma concentration est dédiée à la personne en face de moi et à sa problématique.

Prendre en compte une liste complète des problèmes du patient

Une fois encore, le pré-requis pour aborder tous les problèmes du patient sera que le patient se sente à l’aise pour les partager. Cette évidence nous ramène à nouveau à l’importance d’un cadre non-jugeant et pas seulement du point de vue du thérapeute, mais bien de celui du patient. Chaque patient arrivera avec un passé favorable ou délétère au fait de se sentir à l’aise et en confiance pour partager toutes les informations sans retenue. Ce passé sera conditionné notamment par ses expériences avec d’autres soignants par le passé et nous ne pourrons pas changer ces expérience. Par conséquent, certains patients partageront rapidement toutes les informations clés alors qu’il faudra plusieurs séances pour d’autres, pour un comportement identique de la part du thérapeute. Et certains n’arriveront pas à se sentir suffisamment à l’aise, même si nous faisons tout très bien. A nous de l’accepter, à partir du moment où nous avons déployé les meilleurs moyens dont nous disposons sur le moment. Et si nous nous sentons limités, notre responsabilité sera de nous former. 

Le 10e déterminant identifié par l’équipe de Rachel Chester nous invite donc à, comme le disent les anglo-saxon, “leave no stone unturned”. Cette expression qui signifie “ne pas laisser de pierre non-retournée” n’a pas d’équivalent direct en français. Elle est trahit bien l’importance de ne pas éluder des sujets importants pour le patient, même si le thérapeute pense que ça n’est pas pertinent. Si c’est pertinent pour le patient, c’est pertinent. Si le thérapeute pense que ça ne l’est pas son rôle est d’aider le patient à diminuer ses inquiétudes, ses doutes ou ses peurs en lien avec le sujet en question.

Clarifier les doutes du patient et répondre à ses questions

Pour savoir si le patient a des inquiétudes ou des doutes, deux ingrédients sont nécessaires : 

  1. Créer l’opportunité pour le patient de partager ses doutes.

  2. Que le patient se sente en confiance pour partager ses doutes lorsque l’opportunité se présente.

Pour créer l’opportunité, nous avons besoin de poser des questions directement sur ce sujet. Se contenter d’imaginer ce que pense le patient par rapport à son discours et à son langage non-verbal, sans le vérifier directement est très périlleux. Nous dépensons souvent beaucoup d’énergie à essayer de savoir ce que l’autre pense alors qu’il est juste là, proche de nous, et donc à portée de question. A partir du moment où il est convaincu de notre envie de l’aider, où nous avons créé cette atmosphère collaborative et non-jugeante (décidément nous y revenons souvent !) il est fort probable qu’il nous partage ses doutes et ses questionnements.

Un autre piège consiste à partir du principe que dans cette situation, la majorité des patients pensent d’une certaine manière, et donc la personne en face de nous pense aussi de cette manière. Je vous invite à lire ce billet de blog que j’ai rédigé à propos d’une patiente qui m’a énormément surpris. Sur la base des premières informations que j’avais récoltées, j’étais persuadé qu’elle allait rejeter ma proposition de traitement. Mais heureusement, j’ai su vérifier et l’outil Demander Demander Partager Demander (DDPD) de l’Entretien Motivationnel m’a beaucoup aidé.

Conclusion

Résumer l’idée d’une bonne communication simplement au points évoqués dans ce billet semble réducteur. Toutefois, une bonne maîtrise de ces derniers augmente la probabilité de voir ses patients pratiquer leurs exercices à la maison, favorise une meilleure atmosphère de travail pour le thérapeute, plus de sérénité et plus de confort pour remplir ce rôle qui nous tient à coeur : aider nos patients.

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux Twitter (X) et Instagram

Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Références bibliographiques

(Rogers, C. R. (1951). Client-centered therapy: Its current practice, implications, and theory. Houghton Mifflin.)

Miller, W. R., & Rollnick, S. (2023). Motivational Interviewing: Fourth Edition: Helping People Change and Grow. Guilford Press.

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