Renforcer l'Adhésion aux Exercices : L’importance du soutien social
Poursuivons la série de blogs inspirés de l'article de Rachel Chester publié à l'été 2023, dont je vous ai parlé précédemment ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices.
Dans cette série de blog, je vous propose de reprendre un par un chaque déterminant identifié dans l’article. Abordons le 11e déterminant : le soutien social dont bénéficie le patient à la fois sur le plan émotionnel et pratique.
Importance du soutien social
Outre les preuves scientifiques soulignant l’importance de ce déterminant sur l'adhésion des patients aux exercices proposés, il est utile de réfléchir aux raisons sous-jacentes. Voici une liste non-exhaustive :
Une personne qui vit quelque chose de difficile, comme une souffrance physique qui a un impact sur sa liberté de vivre sa vie comme il le souhaite, aura des soucis, des inquiétudes, des regrets et toutes sortes de pensées négatives qui lui tournent dans la tête. Il en résultera des émotions négatives et donc un état psychologique défavorable à l’engagement dans un processus actif de traitement comme la pratique d’exercices à la maison. Une manière de diminuer l’influence des pensées négatives sur notre santé mentale, c’est de les exprimer. En les gardant en tête, elles tournent, et elles grossissent en compagnie de leur impact négatif sur notre état psychologique, notre espoir d’aller mieux et notre motivation à prendre les choses en main. C’est pour cette raison que pouvoir en parler à des proches est tellement précieux (Gross 2015). C’est aussi une des raisons pour lesquelles l’isolement social est un des facteurs majeurs de chronicité de la douleur (Kamper 2015).
Du côté pratique, il est évident que si une personne peut compter sur un proche pour l’aider, cela favorisera son adhésion au programme proposé. Voici une liste non-exhaustive de ce que ce proche pourra l’aider faire :
penser à ses exercices
déterminer le meilleur moment pour les pratiquer
s’occuper de certaines tâches quotidiennes pour l’aider à dégager le temps nécessaire
organiser l’espace dans lequel elle pourra les faire
trouver le matériel dont elle a besoin
vérifier si la réalisation est correcte
l’aider à se rappeler quand et comment faire évoluer ses exercices
l’encourager lorsque c’est difficile
pratiquer avec elle
lui rappeler les raisons qui font que ce traitement est important
lui redonner de l’espoir quand c’est nécessaire
J’ai pris l’exemple du soutien d’un proche qui fait penser à un partenaire de vie. Mais il est évident que plusieurs personnes peuvent soutenir notre patient sur différents plans. Ce soutien peut aussi provenir de groupes de personnes comme d’un groupe de collègues de travail, ou encore de membres d’associations en tous genres (sportives, de loisirs, caritatives, etc.).
Quand nous prenons du recul, l’influence du soutien social devient évident et prend toute sa dimension. Il existe des raisons neurobiologiques qui expliquent l’importance du soutien social sur la guérison de nos patients (voir ce blog) Mais quelle influence pouvons-nous avoir en tant que soignant ?
Intérêts d’aborder ce sujet avec nos patients
J’entends souvent la remarque suivante : “De toute manière je ne peux pas le changer.” sous-entendu : “A quoi bon perdre du temps à aborder un sujet sur lequel je ne peux rien faire ?” Il est normal de penser ainsi lorsque notre formation initiale nous conditionne à proposer des techniques pour corriger toutes les déficiences qui émergent de notre bilan. Nous sommes câblés pour trouver des solutions à tous les problèmes que nous identifions. Mais quand il s’agit de soutien social, nous ne pensons pas avoir de contrôle sur cette dimension. En revanche nous avons l’illusion de pouvoir contrôler le fait qu’un muscle est faible. En réalité, c’est le patient qui a ce contrôle… mais c’est un autre sujet.
En tant que kinésithérapeute, penser qu’il n’est pas pertinent de discuter du soutien social avec nos patients, c’est passer à côté de stratégies très simples qui peuvent avoir un impact clé sur l’efficacité de nos prises en soins. Nous pouvons notamment améliorer l’alliance thérapeutique, renforcer le sentiment d’efficacité personnelle du patient et augmenter la pertinence de nos échanges avec le patient. Abordons ces points un par un.
Renforcer l’alliance thérapeutique
Demander à un patient s’il est soutenu par son entourage c’est s’intéresser à lui, le considérer comme un être humain et non pas comme un numéro de sécurité sociale ou un morceau de corps à traiter.
“Qu’est-ce que tu vois comme patient ensuite ?”
“Un genou avec une grosse raideur et un manque de force.”
Versus
“Qui est-ce que tu reçois en consultation ensuite ?”
“Une dame qui a besoin de s’occuper de ses petits-enfants, à la fois pour aider son fils et sa compagne qui sont très pris par leur travail et aussi parce que c’est précieux pour elle de passer du temps avec eux.”
Nous savons que la qualité de l’alliance thérapeutique influence les résultats de traitement des affections musculo-squelettiques (Ferreira 2013, Babatunde 2017). Et comme le disait Theodore Roosevelt :
“Nobody cares how much you know, until they know how much you care."
"Personne ne se soucie de ce que vous savez, jusqu'à ce qu'ils sachent combien vous vous souciez d'eux."
Dans le contexte des soins en kinésithérapie, cette citation souligne l’importance de s’intéresser à la personne, de lui manifester notre empathie et notre envie de l’aider à s’en sortir, comme un préalable à l’éducation. Les patients seront beaucoup plus intéressés par toutes les informations que nous avons à leur offrir une fois qu’ils savent que nous comprenons ce qu’ils vivent et que nous y accordons de l’intérêt.
Renforcer le sentiment d’efficacité personnelle
Identifier un soutien avec le patient va lui permettre de se sentir plus capable de faire face à son problème. Nous avons déjà vu dans un blog précédent l’importance de ce concept de self-efficacy pour la mise en place des stratégies d’exercices à la maison. Ce facteur influence également les résultats de traitement de la douleur chronique (Jackson 2014). Pour renforcer ce sentiment, nous ne manquerons pas souligner cette ressource lorsqu’il nous la présentera en lui proposant un reflet.
“ Vous savez que vous pouvez vous appuyez sur vos enfants pour vous aider à penser à vos exercices.”
“Vous pouvez compter sur votre compagnon pour vous encourager les jours où faire vos exercices est plus difficile.”
“Votre compagne peut vous aider à organiser vos journées pour vous permettre de vous occuper de votre problème.”
Augmenter la pertinence de nos échanges avec le patient
Nous avons abordé la forte influence du soutien social sur l’adhésion du patient aux exercices à la maison et plus largement sur sa trajectoire de guérison. Oublier de prendre en compte une absence de soutien social et les barrières que cela crée sur le traitement, c’est se mettre dans une situation où nous n’allons pas comprendre pourquoi le patient ne s’améliore pas alors qu’il a tout ce qu’il faut. Nous avons alors une vue étriquée, focalisée sur la dimension biologique, et qui perd de vue les dimensions psychologiques et sociales.
En échangeant avec le patient sur le soutien dont il dispose, sur le plan émotionnel ou pratique, nous comprenons mieux quel est le niveau de difficulté pour lui d’intégrer des exercices dans son quotidien. Nous pouvons aborder avec plus de pertinence le 7e déterminant identifié par Rachel Chester et son équipe : le sentiment d’efficacité personnelle du patient vis à vis de sa capacité à faire face aux difficultés quotidiennes qui pourraient l’empêcher de réaliser les exercices (douleur, état émotionnel, etc.) : Coping and task self-efficacy. Si vous êtes intéressé, vous pouvez lire le blog que j’ai dédié à ce déterminant.
Si une consultation est bien la rencontre de deux experts, l’expertise du patient c’est sa connaissance de ses valeurs, de ses préférences, de ses réactions habituelles, et de son contexte de vie. S’intéresser au soutien social disponible pour le patient, s’est s’appuyer sur son expertise pour que notre expertise de clinicien puisse lui proposer les conseils et les stratégies les plus adaptées à sa situation. Si nous y ajoutons le fait de s’appuyer sur les données de la science et sur notre expérience professionnelle réflexive, nous offrons une réelle pratique EBP, fidèle à ses 3 piliers : données de la science - préférences du patient - expertise du soignant.
J’insiste pour l’instant sur la problématique d’un manque de soutien social, mais parfois il est bien présent. Voyons comment aider le patient à en bénéficier au mieux.
Comment avoir une influence sur le soutien social ?
Nous pouvons facilement aborder le sujet du soutien social avec nos patients. Avant de pouvoir proposer des pistes de solutions, nous avons besoin de connaître la situation singulière de chaque patient. Si nous commençons en proposant des solutions qui ont aidé d’autres patients, nous prenons le risque de perdre du temps à lancer des idées inappropriées au contexte de la personne en face de nous. Nous pouvons lui donner l’impression de perdre son temps, ou pire que nous n’avons pas compris son problème et donc que nous ne serons pas capable de l’aider.
Comme souvent, commencer cette conversation avec une question sera plus efficace. Voici un exemple de question :
“Sur qui pourriez-vous vous appuyer pour vous aider à pratiquer vos exercices, et de quelle manière cette personne pourrait-elle vous aider ?”
Important : pensez à adapter la formulation à votre façon de parler pour la rendre la plus fluide et naturelle possible. Il est crucial de vous sentir à l’aise et authentique pour pouvoir l’utiliser facilement dans votre pratique.
Si le patient trouve lui-même des réponses à cette question, vous pouvez le paraphraser, lui refléter ces ressources dont il dispose. Ainsi vous l’aiderez à augmenter son sentiment d’efficacité personnelle, sa confiance dans sa capacité à mettre en place ses exercices.
Une fois qu’il vous aura donné sa première réponse, demandez à votre patient s’il pense que ce sera suffisant pour lui. Si ce n’est pas le cas, continuez et demandez-lui : “qui d’autre pourrait vous aider et comment ?” ou bien “sur quel autre plan auriez-vous besoin d’aide et sur qui vous pourriez vous appuyer ?”
Habitués à l’aspect pratique, nous pouvons avoir tendance à oublier le versant émotionnel. En l’abordant, nous permettons au patient de réfléchir à comment il pourrait surmonter cette difficulté mais aussi nous validons le fait qu’il pourra vivre des moments difficiles, de découragement ou de détresse. Nous normalisons cette possibilité et nous manifestons à nouveau le fait que nous le considérons comme un être humain avec des émotions et pas seulement un morceau de corps.
“Et si vous n’avez pas le moral, en cas d’augmentation de vos douleurs par exemple, ou si vous n’arrivez pas à faire quelque chose d’important pour vous, sur qui pourrez-vous vous appuyer pour mieux surmonter ce genre de moment compliqué ?”
Si le patient ne trouve pas de réponse, et qu’il pense toujours qu’il a besoin de plus de soutien, c’est à ce moment-là que vous pouvez lui proposer une liste de ce que votre expérience clinique vous a apprise, ce qui a aidé d’autres patients. Vous pourrez ainsi l’aider à élargir son champ de pensée pour ne pas se limiter à la personne qui partage sa vie, mais peut-être penser à un voisin, un collègue, un ami, une connaissance, un groupe de personnes, une association, un autre professionnel, etc. Vous pourrez aussi lui dire comment certains de vos patients ont pu être aidés sur le plan émotionnel ou pratique (voir la liste proposée plus haut).
Une fois que vous lui avez partagé ces pistes, pensez à lui redonner la main en lui demandant ce qu’il en pense. Autre point important : restez ouvert au fait qu’il ne prendra pas forcément les idées que vous lui proposez. Vous ne devez le pas vivre comme un échec personnel si vos solutions ne lui conviennent pas. Votre rôle est de mettre votre expertise à la disposition de votre patient et de l’aider à faire ses choix de manière éclairée, pas de trouver toutes les solutions à ses problèmes.
Lorsque l’entourage est un frein
Parfois, l’influence de l’entourage sera une des causes, voire la cause principale de la non-adhésion du patient à notre proposition d’exercices. Les convictions d’un proche du patient, liées à son vécu et aux informations qu’il ou elle a reçues, peuvent être complètement incompatibles avec l’idée même que des exercices peuvent être une bonne idée. Par exemple, lorsque le partenaire de vie de la personne en face de vous est convaincu qu’il s’agit d’un problème d’usure, que seule l’antalgie et le repos peuvent aider. Dans cette situation, même si vous arrivez à aider votre patient à changer de point de vue pendant une consultation de 30min remplie de stratégies éducationnelles efficaces, si la personne qui partage sa vie passe le reste de la semaine à tenir le discours inverse, vos efforts pourront ne pas suffire. Dans ce cas, vous pourrez proposer de recevoir le couple lors de la prochaine séance et vous pourrez proposer à nouveau votre éducation. Le vécu du binôme fera qu’il sera possible ou non pour eux de changer suffisamment de point de vue pour essayer votre stratégie d’exercices à la maison. Dans tous les cas, vous aurez mis en oeuvre les moyens dont vous disposez pour aider votre patient et encore une fois, c’est ce qui vous permettra de ne pas considérer votre accompagnement comme un échec.
Conclusion
Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous par exemple. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux Twitter (X) et Instagram.
Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.
Références bibliographiques
Babatunde, O. O., Jordan, J. L., Van der Windt, D. A., Hill, J. C., Foster, N. E., & Protheroe, J. (2017). "Effective treatment options for musculoskeletal pain in primary care: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials." Pain, 158(4), 543-556.
Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.
Ferreira, P. H., Ferreira, M. L., Maher, C. G., Refshauge, K., Latimer, J., & Adams, R. D. (2013). "The therapeutic alliance between clinicians and patients predicts outcome in chronic low back pain." Physical Therapy, 93(4), 470-478
Gross, J. J. (2015). "Emotion regulation: Current status and future prospects." Psychological Inquiry, 26(1), 1-26.
Jackson, T., Wang, Y., Wang, Y., & Fan, H. (2014). "Self-efficacy and chronic pain outcomes: A meta-analytic review." The Journal of Pain, 15(8), 800-814.
Kamper, S. J., Apeldoorn, A. T., Chiarotto, A., Smeets, R. J., Ostelo, R. W., Guzman, J., & van Tulder, M. W. (2015). "Multidisciplinary biopsychosocial rehabilitation for chronic low back pain: Cochrane systematic review and meta-analysis." Cochrane Database of Systematic Reviews, (9), CD000963.