Soins centrés sur la personne, pas seulement sur la pathologie : réfléchir à l'impact, pas uniquement aux symptômes
Par Guillaume Deville
Introduction
À une époque où il est bien vu de parler de soins centrés sur la personne, nous, kinésithérapeutes, devons parfois faire face à une contradiction. Notre formation nous a souvent conditionnés à proposer des soins focalisés sur les symptômes, sur ce qui est visible et mesurable : les déficiences tissulaires, les douleurs, les mouvements limités. Mais s'intéresser uniquement à ces aspects, c’est manquer une dimension essentielle de notre rôle : l'impact réel de la pathologie sur la vie du patient. En d’autres termes, c’est passer à côté de la personne.
Ce blog propose une réflexion sur l'importance de prendre du recul sur notre approche centré sur la pathologie pour aller vers des soins véritablement centrés sur la personne. Pourquoi est-ce crucial ? Parce que la personne qui consulte vient chercher bien plus qu’un soulagement de la douleur. Elle veut retrouver du contrôle sur sa vie.
Le piège du symptôme
Notre métier nous pousse, parfois malgré nous, à penser en termes de déficiences et de symptômes. Une douleur à l’épaule : techniques ou exercices antalgiques. Des tensions musculaires : thérapie manuelle pour relâcher. Cependant, la douleur, qui reste évidemment importante, n'est souvent que la partie émergée de l'iceberg. Derrière cette douleur se cache un individu dont les priorités sont ailleurs : reprendre son travail, pouvoir à nouveau jouer avec ses enfants, courir un marathon ou simplement retrouver le sommeil.
Imaginez que vous ressentiez un symptôme, mais que celui-ci ne vous empêche pas de faire tout ce que vous souhaitez, et que vous n’avez aucune crainte de voir votre état s’aggraver à l'avenir. Allez-vous vraiment perdre votre temps consulter ? Je suis convaincu que vous avez mieux à faire. Par conséquent, une personne qui consulte n’est pas seulement là pour se libérer de sa douleur. Elle est là pour obtenir des réponses, être rassurée, et s’assurer qu’elle pourra reprendre le contrôle de sa vie.
Au-delà des symptômes : Comprendre l'impact sur la vie de la personne
Avec vos patients, je vous propose de prendre un instant pour vous poser la question :
"Pourquoi cette personne est-elle vraiment venue me consulter aujourd’hui ? Est-ce simplement pour la douleur ou est-ce parce que cette douleur la prive d’une activité importante ?“
Nous savons tous que des patients souffrant de douleurs chroniques peuvent vivre avec leurs symptômes sans avoir à chercher activement de solution. Et que même parfois, renoncer à cette quête est ce qui peut leur permettre d’avancer, de retrouver le contrôle de leur vie. Ce n’est pas qu’ils ne souffrent pas, mais ils trouvent des moyens de s’adapter.
À l’inverse, certains patients consultent pour des douleurs relativement mineures parce qu’elles affectent des aspects cruciaux de leur quotidien. Restons vigilants aux jugements qui peuvent alors nous venir en tête. Avoir des pensées comme “sa douleur n’est vraiment pas si forte par rapport à mes autres patients", “il arrive à faire beaucoup de mouvements, le seul mouvement qui provoque un peu de douleur c’est une position complètement improbable”, “il s’inquiète pour rien”, c’est tout à fait normal. C’est le rôle de notre cerveau de juger la situation et de nous produire ces pensées. À nous d’en prendre conscience pour les mettre temporairement de côté et aller vérifier, aller voir plus loin.
Et une fois que nous nous intéressons au réel impact sur la vie du patient, nous découvrons d’autres sujets cruciaux qui dépassent les simples déficiences sur lesquels nos techniques nous ont appris à nous focaliser. Et nous nous offrons la possibilité d’apporter une véritable valeur ajoutée en tant que thérapeutes : proposer une réassurance efficace, redonner confiance, guider vers un retour à la vie souhaitée par le patient.
Le besoin de réassurance
Quand une personne consulte pour une douleur, elle recherche bien plus qu’un soulagement immédiat. Souvent, elle a tout autant besoin d'être rassurée. Et c’est probablement une des raisons qui fait que les patients valorisent autant le soulagement immédiat : ça les rassure sur le fait que le problème peut partir, les laisser tranquille pour retrouver une vie normale. Cette réassurance peut survenir de différentes manières : validation que la douleur n’est pas le signe d’une atteinte grave, espoir sur le fait que la personne pourra reprendre ses activités quotidiennes, ou encore un plan clair pour éviter que la situation ne s’aggrave.
Notre rôle dépasse alors largement la simple réduction des symptômes. Il s'agit d'accompagner la personne pour qu'elle retrouve la maîtrise de sa vie, qu'elle puisse continuer à travailler, s’occuper de sa famille, pratiquer ses loisirs, sans que sa pathologie ne devienne un obstacle insurmontable.
Pratique fondée sur la personne : Une approche globale
Pour réellement adopter cette démarche, il est essentiel de comprendre l’histoire de la personne, ses craintes, ses objectifs et surtout, les raisons qui l’amènent à vous consulter aujourd'hui.
Je vous encourage à poser des questions ouvertes comme :
"Quel est l’impact de votre problème sur votre vie actuellement ?"
"Quelles sont les activités que vous ne pouvez plus faire ?"
Ces questions nous aident à mieux cerner ce qui compte vraiment pour le patient, afin de lui proposer un plan d’action le plus pertinent possible. Elles nous permettent de l’aider à se sortir du conditionnement que nous, soignants, avons créé chez les patients : rester focalisé sur la douleur.
Soins centrés sur la personne : respecter l’unicité du patient
L’autre point essentiel dans l’approche centrée sur la personne est de comprendre que chaque patient est unique. Chacun a ses propres valeurs, ses propres priorités et ses propres façons d’appréhender sa douleur. Certains patients seront prêts à suivre un programme actif d’exercices, tandis que d’autres auront besoin d’un accompagnement plus progressif avec plus ou moins de passif initialement, plus de présence de leur thérapeute. Il reste alors à chacun de nous, les soignants, de définir ce que nous jugeons acceptable de proposer à nos patients, en termes de soins passifs et actifs par exemple. Nous devons trouver le meilleur équilibre entre les besoins de la personne et nos convictions professionnelles. Nous pourrons alors mieux définir si nous sommes le bon thérapeute pour accompagner chaque personne qui se présente en consultation.
Un patient qui vit une vie active peut rencontrer des difficultés pour ralentir le rythme, même temporairement. Ne pas prendre le temps d’aborder ce sujet peut alors compromettre complètement le succès de la prise en soins. D'autres personnes peuvent avoir besoin d’un soutien plus psychologique que physique pour dépasser leurs peurs face à la douleur. Être à l’écoute de ces besoins spécifiques, c’est se donner l’occasion de pouvoir le rassurer efficacement. Et permettre à la prise en soins d’avancer.
Conclusion
Replacer la personne au centre des soins, c’est reconnaître que les symptômes ne sont qu’une partie de l’histoire. Et nous devons veiller à ne pas les oublier ! Voici la vraie question que nous devons nous poser :
“Comment pouvons-nous aider nos patients à retrouver du contrôle sur leur vie, au-delà de la simple gestion des symptômes, tout en continuant de les prendre en compte ?”
Notre rôle en tant que thérapeutes est de guider nos patients vers des choix éclairés, en leur donnant les outils et la confiance nécessaires pour reprendre leur quotidien en main. À travers une approche centrée sur la personne, nous aidons non seulement à soulager les douleurs, mais surtout à redonner du sens et de la valeur à la vie des personnes que nous accompagnons.
Nous avons tout à gagner à sortir de l’approche symptomatique pour entrer dans une dynamique d’écoute, de partage et de co-construction avec nos patients. Il est temps de repenser notre façon d’agir en tant que soignants, et de nous recentrer sur ce qui importe vraiment : la personne.