Comment aider les patients à trouver du temps pour faire leurs exercices ?

Introduction

Poursuivons la série de blogs inspirés de l'article de Rachel Chester publié à l'été 2023, dont je vous ai parlé précédemment ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices.

Dans ce dernier billet de la série, je vous propose d’aborder le 13e déterminant : la perception du temps du point de vue du patient : les exercices prennent trop de temps, ne s’intègrent pas à la routine quotidienne, constituent une perte de temps, sont ennuyeux, ou encore les patients oublient de les pratiquer. Discutons chacun de ces sous-thèmes.

Les exercices prennent trop de temps

Le nombre d’exercices est un des facteurs prédictifs de l’observance des patients aux exercices à la maison (Medina-Mirapeix 2009; Brewer 2013).  Plus il y a d’exercices, plus le patient doit dégager du temps dans sa journée. Une manière de contourner cette difficulté, est donc d’en donner le moins possible. Dans ma pratique clinique, le plus souvent je propose un seul exercice à la fois à mes patients. Mon objectif est à la fois de répondre à cette problématique, mais aussi de pouvoir mieux analyser les effets de l’exercice. Dès qu’il y en a plusieurs, il devient plus difficile de faire le tri, en cas de recrudescence de douleurs par exemple, et donc plus difficile d’ajuster le dosage. Il m’arrive régulièrement d’identifier deux ou trois exercices qui me semblent vraiment utiles pour un patient. Dans ce cas, j’essaie de définir un ordre de priorité. Je peux alors dire au patient quel est l’exercice que je lui conseille de pratiquer les jours où il n’a pas le temps de tous les faire : l’exercice prioritaire. Cette démarche nous oblige à analyser plus finement la situation du patient. Personnellement, je préfère un patient qui arrive à faire 1 exercice plutôt qu’un patient qui n’en fait aucun parce qu’il en a plusieurs dans son programme. 

Pour une personne avec qui plusieurs exercices sont nécessaires, une autre manière de jouer sur le temps est d’alterner les exercices. Il peut alors gagner sur les temps de pause. Le mode “circuit training” consistera à pratiquer la 1e série de l’exercice A, puis la 1e série de l’exercice B, puis la 1e série de l’exercice C, et d’enchainer avec la 2e série de l’exercice A, puis la 2e série de l’exercice B, etc. Cette modalité sera facilement applicable lorsque la zone travaillée pendant l’exercice A peut suffisamment récupérer pendant l’exercice B et C, pour ne pas impacter négativement la série suivante.

Parfois, il pourra être utile de mesurer de manière objective le temps nécessaire pour l’ensemble d’une séance d’exercices. En effet, certains patients peuvent sur-estimer ce temps. Prenons l’exemple d’une personne qui pense qu’il lui faut 15 minutes pour faire tous ses exercices, alors qu’en réalité sa séance dure moins de 10min. Dans les moments où elle aura entre 10 et 15 minutes disponibles, elle n’essaiera pas de faire ses exercices alors que c’était possible. Nous pouvons donc chronométrer la séquence au cabinet pour connaître sa durée. Nous pourrons aussi réaliser que c’est nous qui l’avions sous-estimée et éventuellement ajuster notre proposition.

Un dernier point important sera de vérifier si c’est bien un problème pour chaque patient. Même si nous pouvons anticiper le fait que dégager du temps sera difficile pour une majorité de personnes, ce ne sera pas le cas pour toutes. Il serait dommage de se limiter dans le nombre d’exercices par crainte que le temps soit un problème avec quelqu’un pour qui ça ne l’est pas; d’autant plus si cette personne est dans l’attente de faire un maximum d’exercices pour aller mieux le plus rapidement possible.

Points clés :

  • Prescrire moins d’exercices : “less is more”

  • Circuit training

  • Évaluer la durée réelle d’une séance d’exercices

  • Vérifier si le patient a beaucoup ou peu de temps 

Les exercices ne s’intègrent pas à la routine quotidienne

Ce facteur regroupe deux dimensions distinctes : 

  • la personne ne priorise pas ses exercices par rapport à d’autres activités de son quotidien

  • la personne n’a pas réussi à ré-organiser sa routine quotidienne

Le premier point sera développé dans la section suivante. Concentrons-nous pour l’instant sur la re-structuration du quotidien qui est nécessaire pour intégrer une activité nouvelle : pratiquer des exercices. Ce facteur explique pourquoi l’Entretien Motivationnel (EM) soutient les patients dans cette démarche. En effet, l’EM s’intéresse aux changements de comportement. Et nous sommes face à une situation où un patient va intégrer un nouveau comportement dans ses journées. 

Pour cette problématique, l’étape de planification de l’EM nous aidera particulièrement.

Pour planifier l’intégration d’un nouveau comportement, l’Entretien Motivationnel nous invite à nous appuyer en priorité sur les idées et solutions du patient. Nous pouvons tomber juste lorsque c’est nous qui proposons au patient nos idées sur quand et comment planifier ses exercices Mais il nous arrive régulièrement de ne pas trouver le moment qui convient à la personne en face de nous. Cette personne va nous le faire savoir en débutant ses phrases par : “Oui, mais…” ou encore : “Pour moi ce n’est pas possible parce que…”. Si nous tombons dans le jeu de continuer à essayer de lui trouver la solution, nous pouvons parfois gagner, mais nous perdons souvent. Et dans ce cas, nous risquons nous agacer et finir par juger notre interlocuteur comme une personne fainéante, qui se trouve plein d’excuses, qui ne veux juste pas aller mieux car elle doit avoir des bénéfices secondaires, en j’en passe… Assez souvent, si nos idées ne passent pas, c’est qu’elles ne correspondent pas au contexte de la personne. Pour éviter cet écueil, l’Entretien Motivationnel propose de commencer par s’appuyer sur les idées et solutions du patient. Comme il connait son contexte, il proposera des stratégies adaptées. S’il ne trouve pas, nous pourrons alors lui donner nos idées, mais seulement dans un second temps.

Un exemple de question utile pour cette situation : 

“ Quel serait le meilleur moment pour vous pour pratiquer vos exercices ?”

Lors de la planification, il sera parfois utile d’explorer les détails de la mise en pratique des exercices. Voici quelques questions utiles : 

“A quel endroit allez-vous pratiquer vos exercices ?”

“De quel matériel avez-vous besoin ?”

“Qu’est-ce qui pourra vous aider au moment où vous vous apprêtez à faire vos exercices ?”

Pour plus d’informations sur l’étape de Planification en Entretien Motivationnel et sur les intentions de mise en oeuvre, je vous invite à lire le blog d’Antoine Deconinck sur le sujet.

Les exercices constituent une perte de temps

Si un patient pense que l’exercice est une perte de temps, c’est probablement qu’il n’en voit pas l’intérêt. Cette situation peut nous indiquer que nous ne sommes pas suffisamment alignés sur le moyen de traitement. Dans ce cas, l’Entretien Motivationnel peut nous aider notamment avec l’outil Demander-Demander-Partager-Demander (DDPD) qui nous permettra de déterminer si nous pouvons nous mettre d’accord avec le patient sur la cause du problème et sur le moyen de la traiter. Nous n’avons pas besoin de nous mettre d’accord à 100%, mais plutôt de déterminer si le patient est d’accord pour envisager notre hypothèse et essayer la stratégie que nous lui proposons.

De temps en temps, nous pouvons aussi tomber sur un patient qui ne voit pas l’intérêt d’aller mieux. Vous savez, la personne qui vient juste parce que son médecin lui a demandé, ou parce que sa compagne ou son compagnon lui a dit de se soigner. Si le patient n’a pas pour objectif d’améliorer son problème, il est évident qu’il aura du mal à dégager du temps pour faire des exercices. Pour vérifier cette hypothèse, nous pouvons lui demander ce qui l’amène. Et nous pouvons lui demander si sa situation l’inquiète, s’il a besoin de mieux la comprendre, de savoir comment elle peut évoluer sans traitement, s’il n’arrive pas à pratiquer des activités importantes pour lui. S’il répond non à toutes ces questions, il nous sera facile de nous dire : 

“si j’étais à la place de cette personne, je ne dépenserais pas du temps à faire des exercices.” 

Afin de vérifier que nous sommes bien dans cette situation, après lui avoir posé les questions précédentes, en Entretien Motivationnel nous pouvons utiliser un reflet amplifié : 

“Finalement ce n’est pas vraiment important pour vous de traiter ce problème.”

Si le patient confirme, nous pourrons alors facilement le laisser tranquille tout en lui disant que nous restons disponible pour le revoir si jamais il en ressent le besoin. Et parfois le patient pourra “attraper la balle au vol” et nous dire qu’il souhaite quand même faire quelque chose pour son problème.

Les exercices sont ennuyeux

Rendre l’exercice plus fun

Pour obtenir un résultat optimal, un exercice aura parfois besoin d’être pratiqué pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Certains patients pourront se lasser. Dans ce cas, nous pouvons trouver une alternative, un exercice différent qui apporte un bénéfice similaire. Nous pouvons aussi voir si l’associer à quelque chose que le patient aime est utile, comme de la musique ou bien faire participer un proche, par exemple son enfant. Mais même si nous avons plein d’idées qui nous parlent, une fois de plus je vous propose de vous appuyer d’abord sur les idées du patient. Vous pourrez ensuite apporter vos idées si jamais le patient n’arrive pas à trouver en suivant à nouveau la séquence du DDPD :

  • Demander : “Qu’est-ce qui pourrait rendre l’exercice moins ennuyeux pour vous ?”

  • Demander (si le patient n’a pas déjà trouvé une réponse satisfaisante) : “Est-ce que vous aimeriez savoir ce que d’autres patients ont trouvé ?”

  • Partager nos idées.

  • Demander : “Que pensez-vous des ces idées ?”

Augmenter l’importance

Parfois il ne sera pas possible de trouver une alternative ou de rendre l’exercice plus fun. Dans ce cas, nous pouvons miser sur le travail de l’importance selon l’Entretien Motivationnel. L’idée ici est de partir du principe que si l’importance d’aller mieux est suffisamment grande, le patient sera prêt à faire un exercice ennuyeux : “le jeu en vaudra la chandelle”. En EM, nous allons questionner le patient sur ses raisons, ses besoins et ses envies d’aller mieux. Nous allons approfondir ces éléments avec des reflets afin de voir si l’importance de régler son problème devient suffisamment forte pour le motiver à pratiquer un exercice qui ne lui plaît pas beaucoup. 

Les patients oublient de pratiquer leurs exercices

Une fois de plus, ma proposition sera d’utiliser le DDPD et de commencer par demander au patient les solutions qu’il peut trouver par lui-même :

“ Qu’est-ce qui pourrait vous aider à penser à vos exercices ?”

Et s’il ne trouve pas, nous pouvons alors lui proposer différentes idées qui fonctionnent pour d’autres patients comme :

  • mettre une alarme sur son téléphone, son ordinateur, sa montre.

  • laisser l’élastique, le tapis, les poids, ou tout autre objet qu’il utilise pour ses exercices, en évidence à un endroit où il sait qu’il le verra pour se souvenir de faire sa séance.

  • l’associer à un comportement déjà intégré dans son quotidien : à chaque fois qu’il se brosse les dents, qu’il va aux toilettes, etc.

  • demander à un proche de lui rappeler.

  • placer un post-it de rappel à un endroit clé.

  • etc.

Il pourra aussi être utile de réfléchir avec lui au meilleur moment et endroit pour faire ses exercices, comme mentionné plus haut. Une fois cet élément identifié, il sera encore plus facile de savoir où laisser son matériel ou son rappel en évidence par exemple.

Conclusion 

La perception du temps par le patient regroupe plusieurs problématiques bien distinctes qui nécessitent des stratégies très différentes. Connaître les problématiques qui entrent en jeu pour chaque patient nous permettra donc de nous adapter et de l’accompagner plus efficacement.

Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter avec vos mots à vous par exemple. N’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux Twitter (X) et Instagram

Cette année, en 2024, je vous ai proposé un billet blog sur chacun des déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que aura pu vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.

Guillaume Deville - Cofondateur de l’Agence EBP

Références bibliographiques

Chester R, Daniell H, Belderson P, Wong C, Kinsella P, McLean S, Hill J, Banerjee A, Naughton F. Behaviour Change Techniques to promote self-management and home exercise adherence for people attending physiotherapy with musculoskeletal conditions: A scoping review and mapping exercise. Musculoskelet Sci Pract. 2023 Aug;66:102776. doi: 10.1016/j.msksp.2023.102776. Epub 2023 May 29. PMID: 37301059.

Medina-Mirapeix F, Escolar-Reina P, Gascan-Cnovas JJ, et al. Predictive factors of adherence to frequency and duration components in home exercise programmes for neck and low back pain: An observational study. BMC Musculoskeletal Disord. 2009;10:155.

Brewer B, Cornelius A, Van Raalte J, et al. Predictors of adherence to home rehabilitation exercises following anter- ior cruciate ligament reconstruction. Rehabil Psychol. 2013;58:64–72.

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