Croyances et kinésithérapie : le récit d’une patiente inspirante.

Par Guillaume Deville

En relisant un travail que nous sommes en train de préparer sur la manière de travailler les croyances des patients en rééducation (stay tuned!), je me suis souvenu de l’histoire d’une patiente que j’ai suivie il y a quelques temps. 

Premières informations

Avant de rencontrer cette dame, j’ai pris le temps d’aller consulter son dossier : j’ai accès aux dossiers médicaux de mes patients car je travaille en étroite collaboration avec des médecins généralistes, au sein même de leur cabinet médical. Le dossier de cette dame de 77 ans n’était pas très fourni. C’est une nouvelle patiente du cabinet. Son médecin traitant précédent est parti à la retraite quelques mois auparavant. Dans le compte rendu de sa dernière consultation avec son nouveau médecin généraliste, mon collègue du cabinet, je lis qu’elle a des douleurs aux deux genoux et qu’elle a demandé un courrier au médecin pour aller faire des infiltrations. Le médecin lui a dit qu’il préférait qu’elle me voit d’abord en consultation et il a programmé son rendez-vous dans mon agenda.

A ce stade, je me dis que cette personne que je m’apprête à rencontrer n’a peut-être pas vraiment choisi de venir en rendez-vous avec moi. Peut-être qu’elle vient à contre coeur et dans l’espoir que je confirme à son médecin qu’il lui faut bien des infiltrations. Je ne l’ai pas encore rencontrée et j’imagine déjà les difficultés que je risque rencontrer. Merci à mon cerveau pour savoir aussi bien se projeter dans le futur et me créer des pensées inquiétantes à la vitesse de l’éclair !

Nos premiers échanges

Je vais chercher cette dame en salle d’attente, nous rejoignons la salle de consultation et notre échange débute. Elle me confirme avoir des douleurs aux deux genoux. Elle connait bien ces douleurs car elle en souffre depuis plusieurs années. Elle me dit que son ancien médecin l’envoyait faire des infiltrations et que ça l’avait systématiquement soulagée pendant des périodes assez longues. C’est ce qui s’était produit pour elle, à 4 ou 5 reprises dans le passé.

Là, je me dis que mes inquiétudes semblent se confirmer. A nouveau, dans ma tête j’anticipe le fait que cette patiente attend juste que je confirme au médecin qu’il lui faut ces infiltrations et que la kiné ne pourra rien faire d’autre que lui faire perdre son temps. Ces pensées engendrent différentes émotions, et notamment de l’anxiété : 

  • J’ai peur que cette patiente, qui par expérience pourrait résoudre ses douleurs avec de la rééducation, préfère ne pas essayer à la suite de notre échange. 

  • J’ai peur de ne pas arriver à lui donner l’envie de tenter le coup, de se donner une vraie chance de vérifier si la rééducation ne peut pas suffire. 

  • J’ai peur pour les tissus de ses genoux suite aux nombreuses infiltrations qu’elle a reçues. Et aussi je me demande si ça pourrait être une raison d’un échec de la prise en soins rééducative ?

  • J’ai peur que cet échec (qui n’existe pas encore nous sommes bien d’accord) entame ma confiance en moi en tant que kinésithérapeute, qu’elle me fasse douter de mes compétences. C’est clair ! Comment je vais me sentir si je n’arrive pas à lui donner envie d’essayer ma proposition, alors que je donne des cours sur comment motiver les patients à faire leurs exercices à la maison, en Entretien Motivationnel, en Pratique Clinique Réflexive ? Quel imposteur je serais si je n’y arrive pas avec cette patiente ! 

  • J’ai peur que mon collègue médecin soit déçu car visiblement il compte sur moi pour éviter d’avoir recours à des infiltrations dont il connait les inconvénients.

L'approche Demander Demander Partager Demander

Bien conscient de toutes ces peurs que je ne peux pas supprimer, je tente de les maitriser suffisamment pour contrôler mon comportement. Dans le passé, ce genre de peur a pu me conduire à des comportement trop directifs et contre productifs. J’ai pu essayer de convaincre la personne en face de moi avec plein d’arguments, essayer de me battre pour lui imposer mon point de vue. Désormais, je ne veux pas que mes émotions m’empêchent d’utiliser correctement les outils de communication que je connais et qui peuvent m’aider dans ce genre de situation. Je me lance alors dans un DDPD. 

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Si vous souhaitez en savoir plus sur cet outil propose en Entretien Motivationnel,
je vous invite à aller voir cette série de vidéos

Je commence par lui dire qu’à sa place, je penserais clairement qu’il me faut une infiltration puisque ce traitement lui a fait du bien par le passé. C’est tout à fait logique ! Et je me demanderais aussi pourquoi ce nouveau médecin m’a envoyé voir un kiné au lieu de programmer une infiltration. J’enchaine en lui disant qu’il existe d’autres traitements et je lui demande ce qu’elle en connait. Elle me répond qu’elle n’a jamais eu d’autre traitement et que comme les infiltrations la soulageaient, elle ne s’était jamais posé la question. A ce stade, mes inquiétudes ne se calment pas du tout comme vous pouvez l’imaginer.

En tentant au mieux de contrôler mon appréhension de sa réponse probablement négative, je lui demande s’il elle aimerait que je lui parle d’une autre manière de traiter son problème. 

Elle me répond oui, sans que son attitude non verbale me donne l’impression qu’elle accepte seulement pour me faire plaisir. Elle semble réellement intéressée. Mon stress diminue légèrement car je me dis que j’ai peut-être un espoir.

Je lui partage alors que des personnes dans sa situation ont déjà réussi à améliorer et même à supprimer leurs douleurs en faisant des exercices. Comme elle m’a parlé de son cartilage abimé au début de notre échange, je lui précise que désormais nous savons que le cartilage peut se renforcer. Même si ce processus est lent, et même si elle a plus de 75 ans, c’est possible en utilisant des exercices adaptés et bien dosés. Je lui demande ce qu’elle pense de ce que je lui raconte en me demandant si ma première intuition va se confirmer : elle n’est pas prête à envisager autre chose qu’une infiltration; ou bien si ma perception de son attitude non-verbale allait se confirmer : elle est d’accord pour essayer autre chose qu’une infiltration.

La révélation et l'acceptation de la patiente

Elle me confie alors qu’elle a été diagnostiquée comme asthmatique lorsqu’elle était enfant. A son époque, les conseils médicaux étaient d’éviter que les enfants ne s’essoufflent. Il fallait les protéger. Elle en a souffert énormément. Elle me dit qu’elle n’avait pas le droit de monter les escaliers. Son père la portait pour qu’elle puisse monter dans sa chambre. Elle n’avait pas le droit d’aller jouer avec ses amis dès lors qu’un effort physique était nécessaire. Elle ne pouvait même pas aller se promener avec eux. Et comme elle me l’a précisé, à son époque, les enfants se déplaçaient en marchant. Ils ne se limitaient pas à des activités à l’intérieur de la maison ou même de leur jardin. Quelle vie elle a dû vivre cette dame ! Ca semble incroyable aujourd’hui.

Je pense alors que peut-être que pour elle, imaginer que le corps puisse s’adapter aux contraintes qu’on lui inflige nécessiterait qu’elle reconnaisse que son enfance a été gâchée pour de mauvaises raisons. Le coût cognitif serait tel qu’elle ne va probablement même pas parvenir à envisager l’idée. Ou bien si elle y arrive, elle risque s’effondrer en larme. Autant vous dire que mon niveau de sérénité n’est pas tout à fait à son paroxisme.

Mais en réalité, il suffisait que j’attende la suite pour être rassuré ! En effet, elle poursuit en me disant avec aplomb que malgré ce qui lui a été dit dans le passé, elle veut bien croire qu’il est possible d’améliorer son cartilage avec des mouvements. Elle me parle de ce jour, encore enfant, où elle en a eu assez : elle a décidé de suivre ses amis qui partaient gambader dans les chemins. Malgré un essoufflement immense, elle a continué. Et elle me dit qu’elle a découvert qu’en continuant cet essoufflement s’était atténué, que finalement elle n’avait pas déclenché de crise et qu’elle avait pu suivre ses amis, partager un moment précieux avec eux. Ce jour-là elle a décidé de ne plus suivre les recommandations des médecins par rapport à son asthme, elle a décidé de vivre sa vie. Et elle s’estime très chanceuse d’avoir eu cette expérience. Aujourd’hui, elle sait qu’il est recommandé de faire du sport aux enfants asthmatique. Elle m’a raconté cette histoire pour me dire à quel point elle sait que la médecine évolue et aussi qu’elle sait que le corps est capable de s’adapter si on le sollicite. 

Le soulagement et les leçons tirées

Je vous laisse imaginer mon soulagement ! Cette patiente pour qui j’étais très inquiet initialement a accepté très facilement de tester des exercices chez elle. Elle les a menés avec assiduité et ses douleurs ont effectivement cédées. 

Ce que je souhaite retenir de cette expérience, c’est que même s’il est illusoire d’imaginer qu’on peut s’empêcher d’avoir des préjugés, il reste important de savoir les contrôler pour rester curieux et ouvert de la réalité de l’autre. Tout un programme ! haha ! Ce que veux dire par là c’est qu’il est normal que notre cerveau nous construise des jugements sur une situation. Il anticipe notamment les difficultés potentielles à venir. Au lieu de chercher à les exterminer, une proposition est de les identifier et de les reconnaitre comme tels : un point de vue imaginaire, une hypothèse qui pourra s’avérer juste ou complètement erronée. Nous pouvons alors ranger cette idée dans un coin de notre esprit et laisser toute la place qu’elle mérite à notre curiosité. Rester curieux et ouvert de la vérité d’une personne permet de réellement se connecter à elle, de la comprendre et de manifester son empathie avec plus de justesse. Non seulement l’alliance thérapeutique sera sublimée, mais aussi nous nous ouvrons des possibilités d’être surpris dans le bon sens. C’est bien ce qu’il s’est passé pour moi avec cette patiente. 

Conclusion et invitation

Merci d’avoir lu ce témoignage jusqu’ici, votre attention est une vraie récompense à mon envie de vous partager cette histoire. Si vous êtes intéressés pour développer vos capacités à prendre du recul sur vos consultations, je vous invite à explorer notre offre de formation et particulièrement la formation à la Pratique Clinique Réflexive que je propose en binôme avec Camille Leteurtre.

Merci encore pour votre temps et peut-être à bientôt en formation.

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