Lombalgie non spécifique : quelle mouche T’C’C l’a piquée ?

Lombalgie non spécifique : quelle mouche T’C’C l’a piquée ?

Adrien Pallot.

Le printemps est là, le changement d’heure arrive et un nouvel article sort dans les bacs ! Et c’est pas peu dire puisque le sujet concerne les lombalgies non spécifiques (« oulah, y’a un jeu de mot quelque part mais j’arrive pas encore à voir où… »). Nous allons nous intéresser à une méta-analyse (rappelez-vous, ce fameux schéma d’étude qui reprend des essais primaires pour recalculer tous leurs résultats ensemble) publiée par Richmond et al. [1] ayant comme objectif d’évaluer si les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) améliorent l’incapacité (dont celle au travail), la douleur et la qualité de vie chez les patients présentant une lombalgie non spécifique (LNS). Une première question se pose : pourquoi avoir fait cela alors qu’il en existe déjà sur ce thème ? Car ici les auteurs incluent les patients âgés (ça tombe bien car la LNS y est fréquente dans cette tranche d’âge) et les LNS de n’importe quelle durée.

Pour introduire le sujet, Richmond et al. reviennent sur la forte prévalence des LNS chez les adultes, suscitant notamment des incapacités de travail. La note est salée au final (coût des soins, arrêts de travail, …). La prise en charge adéquate de ces patients relève donc d’une préoccupation individuelle, économique et sociétale. Néanmoins, il est difficile de mettre en avant un traitement plus qu’un autre. Parmi eux, la TCC a récemment gagné en popularité et apparaît être un traitement rentable. Elle est utilisée pour prendre en charge différentes pathologies, mais les éléments de base restent communs : cibler les distorsions cognitives (issues d’un traitement erroné de l’information découlant sur des pensées et des émotions négatives) et les comportements mal adaptés. Le but étant de les modifier afin d’améliorer les symptômes.

 

Qu’ont fait les auteurs ?

Je suis quasiment sûr que vous avez une petite idée. ^^

« Ah ouais, tu en méta main à couper ? »

Mais c’est qu’t’es drôle toi ! La puissance des vannes mon gars, le niveau quoi. Bien placé ton méta, fort mec ! (oui, oui, y’a quelques trucs cachés ici et là).

Alors leur PICOTS était :

-       Population : adultes avec LNS

-       Intervention : TCC

-       Comparison : pas de traitement ou un autre traitement actif conservateur recommandé (hors TCC)

-       Outcome : douleur, incapacité et qualité de vie

-       Time : court terme (proche de 6 semaines et n’excédant pas 12 semaines) et long terme (proche de 52 semaines et supérieur à 26 semaines)

-       Study design : revue systématique avec méta-analyse

 

« On pourrait me rappeler les traitements conservateurs actifs recommandés dont parlent les auteurs ? »

Mais bien entendu :

-       Pour une LNS aiguë :

o   Donner des informations adéquates

o   Conseiller au patient de rester actif et de continuer ses activités journalières normales (ainsi que le travail si possible)

o   Prescrire des médicaments si nécessaires pour l’antalgie (pris à intervalle régulier, avec un traitement de premier choix pour le paracétamol, et un traitement de deuxième choix pour les anti-inflammatoires non stéroïdiens)

o   Ne pas prescrire le repos au lit comme un traitement

 

-       Pour une LNS chronique :

o   CBT (Cognitive Behavioral Therapy, la TCC in french), thérapie d’exercices supervisés, éducation thérapeutique, MDT (Mechanical Diagnosis and Treatment)

o   Les écoles du dos peuvent être considérées

o   Ne sont pas recommandés : hotpack, coldpack, traction, corset, ultrasons et massage

 

Les auteurs ont enregistré leur protocole sur PROSPERO (https://www.crd.york.ac.uk/PROSPERO/). « Mais c’est le ClinicalTrials de la revue de littérature ? ». T’C k’C bien c’que tu dis ! On enregistre son protocole pour toute transparence, entre autres.

A l’aide d’équations de recherche, ils ont interrogé plusieurs bases de données dans le but de sélectionner les études contrôlées randomisées répondant à leur PICOTS. Ils ont donc exclu les études s’intéressant aux patients présentant une lombalgie d’étiologie pathologique (infection, néoplasme, métastase, ostéoporose, polyarthrite rhumatoïde, fracture et canal lombaire étroit) ainsi que les patients avec conditions neurodégénératives. Deux auteurs ont sélectionné et évalué les études, puis ils ont extrait les données. En cas de différent, un troisième auteur faisait consensus.

Vingt-trois études qui ont répondu à leurs critères d’éligibilité (totalisant 3359 patients). Trois modes d’administration de la TCC étaient retrouvés : de façon individuelle, en groupe ou combinée. De plus, cette thérapie était réalisée par des professionnels aux métiers différents : psychologues, kinésithérapeutes (youhou, c’est nous 😃), médecins ou auto-administrée (it means par le patient lui-même). La plupart du temps, les critères de jugement étaient la douleur et l’incapacité.

 

Et ça donne quoi ?

-       TCC versus pas de traitement :

o   A court terme, différence statistiquement significative pour la douleur et l’incapacité, en faveur du groupe TCC

o   A long terme, seule la douleur est statistiquement significative en faveur du groupe TCC

o   Pas de différence significative pour la qualité de vie

 

-       TCC versus traitement actif conservateur recommandé :

o   A court et long termes, différence statistiquement significative pour la douleur et l’incapacité en faveur du groupe TCC

o   Pas de différence significative pour la qualité de vie

 

A long terme, la plupart des études ont rapporté des effets majoritairement petits à modérés en faveur de la TCC, mais n’étant pas toujours statistiquement significatifs. En parallèle, quelques effets étaient grands et significatifs. Cette hétérogénéité a également été retrouvée pour les résultats à court terme. Les auteurs ont donc exploré certains facteurs pouvant expliquer cette diversité des tailles de l’effet. La qualité méthodologique leur est apparue comme étant un facteur de modulation. En effet, les études avec faible risque de biais restent en faveur du groupe TCC, mais avec une taille de l’effet plus petite et pas forcément statistiquement significative.

 

Presque toutes les études ont montré un effet en faveur de la TCC. Dans son mode d’administration, elle apparaît être intéressante puisqu’elle peut être proposée (et supportée) par différents acteurs (psychologue, kinésithérapeute, médecin, …). Malheureusement, les contenus des interventions ont été pauvrement rapportées dans les études, entravant donc une implémentation dans la pratique. C’est un problème bien connu et très limitant pour le clinicien qui souhaite mettre en application une thérapeutique justifiée par une étude ; mais qui se retrouve confronté à son manque de détails. Dans les prochaines études, il faudra donc veiller à ce que des descriptions plus complètes des interventions soient rapportées. De fait, nous pourrons appréhender au mieux les compétences nécessaires afin de pouvoir utiliser ces TCC. 

 

Cet article laisse néanmoins en suspens quelques questions. Par exemple, il serait intéressant de savoir :

-       quelle thérapie a la meilleure observance (thérapie active recommandée ou TCC) ?

-       si le couplage thérapie active recommandée et TCC est meilleur que l’un des deux seul ?

-       si il est nécessaire de faire des séances de TCC ponctuellement dans le temps pour maintenir les résultats ?

-       si les kinésithérapeutes peuvent acquérir toutes les compétences pour l’administrer (quid des compétences d’un kinésithérapeute pour identifier un état psychologique pré-morbide sous-jacent associé et adresser un patient vers un professionnel plus compétent) ?

-       quelle est la dose optimum de séances ?

-       …

 

Encore de bien belles perspectives pour l’évolution de notre métier et de ses pratiques !

 

(t’as toujours pas compris le jeu de mot dans l’titre ? Ça va pour cette fois, regarde ici).

 

Température en hausse, barre chocolatée et planète du système solaire. J’vous kisse.

 

Adrien Pallot.

 

 

[1]. Richmond H, Hall AM, Copsey B, Hansen Z, Williamson E, Hoxey-Thomas N, Cooper Z, Lamb SE. The Effectiveness of Cognitive Behavioural Treatment for Non-Specific Low Back Pain: A Systematic Review and Meta-Analysis. PLoS One. 2015 Aug 5;10(8):e0134192.

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