Kiné respi : intervenir à domicile ou rester chez soi ?

Kiné Respi : intervenir à domicile ou rester chez soi ?

 Par Anthony Bender, Résident en Kinésithérapie Respiratoire à l’Agence EBP.

Jamais cette question ne s’est autant posée qu’actuellement. Le monde entier doit s’adapter et nous aussi à notre échelle. Les cabinets de rééducation sont fermés. On nous demander de suspendre toutes les prises en charge, mais de rester joignable pour assurer les « soins prioritaires non reportables » (annexes 1 et 2).

Nous avons tous parmi les patients que nous suivons des personnes vulnérables, dont l’état de santé requiert, entre autres, une rééducation à domicile régulière.

Mais quand bien même : avec ce virus, est-on certain de pouvoir intervenir à domicile sans risque ni pour le patient, ni pour nous même ? Quel kinésithérapeute libéral dispose de gants, masques FFP2, surblouses, lunettes et charlotte de protection ? Quand bien même, qui peut garantir qu’il sait les manier et les utiliser en toute sécurité ?

Les patients atteints de pathologies respiratoires chroniques sont cités dans les communications de nos instances officielles parmi les patients vulnérables, nécessitant un maintien des soins. Et pourtant, la question de la balance bénéfice/risque se pose pour chaque patient et à chaque séance.

Est-il vraiment nécessaire que je poursuive le plan de rééducation de ce patient BPCO sous oxygène, vivant seul au 4ème étage ? Et ce patient atteint de SLA sous ventilation non invasive 24h sur 24 ?

Pour aider les kinésithérapeutes libéraux à prendre la décision et la responsabilité d’intervenir à domicile (ou non), j’ai préparé avec le Docteur Anne GUILLAUMOT, pneumologue au CHRU Nancy, au nom du Réseau Insuffisance Respiratoire (RIR) Lorraine, un outil qui se veut pratique et facile à utiliser dans ce contexte difficile. 

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Cet outil n’a fait l’objet d’aucune validation scientifique. Il est certainement imparfait mais il est toutefois né de notre expérience du terrain avec la volonté d’aider et de contribuer à la sécurité des soins. Il ne s’adresse évidemment qu’aux thérapeutes prenant en charge des patients qui disposent d’une ordonnance de kinésithérapie respiratoire à la fois en cours de validité, et qui corresponde aussi à l’état de santé actuel du patient.

Le principe est de proposer un suivi téléphonique, éventuellement vidéo, aux patients adultes atteints de pathologies respiratoires chroniques que vous suivez et de repérer des signes anormaux qui suggèreraient la nécessité, et donc la prise de risque, d’une intervention à domicile.

Peut être considérée comme prioritaire seule l’aide au drainage bronchique, particulièrement pour les patients suivants :

1.     Patients bronchorrhéiques (DDB, mucoviscidose, dyskinésie ciliaire, etc.)

2.     Patients BPCO sévères, insuffisants respiratoires en exacerbation aigue

3.     Patients neuromusculaires (SLA, tétraplégie, etc.)

Bien que l’évaluation et la décision relève de la responsabilité de chaque professionnel, l’outil d’aide à la décision proposé est basé sur 3 paramètres :

1)    L’aggravation des symptômes (dyspnée de repos, toux, expectorations)

2)    La sévérité de l’atteinte respiratoire (patient sous O2 et/ou VNI)

3)    L’autonomie du patient pour la réalisation des thérapies inhalées et drainage bronchique

 

L’aggravation des symptômes peut être évaluée lors de l’entretien téléphonique. Il s’agit notamment de repérer si l’aggravation est au-delà des variations habituelles du patient. Un score clinique simple en 3 questions peut être utilisé : le Breathlessness Cough and Sputum Scale (BCSS – annexe 3). Validé dans la BPCO pour repérer la survenue d’une exacerbation dès lors que le score est supérieur à 5, il pourra être intéressant pour quantifier les symptômes respiratoires habituels décrits par tout patient.

La sévérité de la pathologie est connue par le dossier, et le niveau d’autonomie par votre connaissance du patient.

Une fois le « risque » évalué, l’idée est de tout mettre en œuvre pour accompagner le patient (et son entourage proche) vers l’atteinte d’objectifs éducatifs déterminants, et ce soit par téléconsultation, soit par intervention à domicile si nécessaire.

En effet, de manière générale avec les patients atteints de pathologies respiratoires chroniques, nous devons œuvrer pour que chaque patient soit capable de :

1.     Réaliser lui-même une ou plusieurs techniques simples et efficaces de drainage bronchique

2.     Prendre efficacement ses thérapies inhalées 

3.     Adapter son traitement en fonction de l’évolution des symptômes

4.     Réaliser quotidiennement un programme simple et efficace d’exercices fonctionnels

 

Si l’intervention à domicile s’impose, elle doit se faire non seulement avec toutes les protections requises, mais aussi avec des objectifs précis :

-       Évaluation des symptômes (dyspnée de repos, douleurs, etc.)

-       Examen physique (état général, œdème des membres inférieurs, cyanose, etc.)

-       Examen clinique : fréquence cardiaque, tension artérielle, saturation du sang en oxygène

-       Apprentissage du patient et/ou de l’entourage proche à des techniques simples de drainage bronchique (expiration lèvres pincées, pression expiratoire positive, etc.)

-       Contrôle de la bonne utilisation des thérapies inhalées

 

Ensuite, le rythme des visites pourra être réévalué au cas par cas selon une fois encore l’évolution des symptômes, la sévérité de la pathologie du patient, et ses compétences à réaliser seul (ou avec son entourage) des techniques efficaces de drainage bronchique. 

Pour toute question ou remarque, n’hésitez pas à me contacter directement sur bender.anthony54@gmail.com , j’aurai grand plaisir à échanger avec vous !

 Et pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus, je vous invite également à suivre le e-learning fraichement mis en ligne à propos de la prise en charge des patients atteints de BPCO, par un kinésithérapeute libéral pour des kinésithérapeutes libéraux !

A bientôt,

Anthony Bender

ANNEXE 1 : Communiqué du Collège de Masso-Kinésithérapie (23 mars 2020)

“Un acte prioritaire et non reportable en Masso-Kinésithérapie est un acte qui, par son absence de réalisation, risque d’entrainer une hospitalisation ou une perte de chance irréversible pour le patient sur sa récupération fonctionnelle définitive et/ou sur l’entretien de ces capacités fonctionnelles qui pourrait avoir une incidence sur le pronostic vital ou l’espérance de vie, et cela même si des soins de rééducation étaient réalisés ultérieurement. Un acte prioritaire et non reportable doit toujours être réalisé dans le respect de la sécurité du patient en considérant que le bénéfice obtenu par la réalisation de cet acte est supérieur aux risques encourus par le patient, dans le cadre de la réalisation du soin et pour accéder à ce soin.”

 

ANNEXE 2 : extrait du communiqué du Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes (27 mars 2020)

« Même si vous prenez toutes les mesures d’hygiène recommandées, vous ne pouvez pas garantir à 100% que vous maitrisez le risque infectieux dans votre cabinet. Or, en tant que professionnels de santé, il nous est INTERDIT de « faire courir à un patient un risque injustifié » (Article R 4321-88 du Code de la santé publique). Il est également prévu à l’article 223-1 du Code pénal une infraction de mise en danger de la personne. Il s’agit du fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou un règlement. Par ailleurs, en matière d’hygiène, vous avez une obligation de résultats (contrairement aux soins pour lesquels vous n’avez qu’une obligation de moyens). Vous engagez donc de fait votre responsabilité pénale (délit) et vous vous exposez à des sanctions pénales (Articles 121-3 et 221-6 du Code pénal). »

 

ANNEXE 3 : Score BCSS « Breathlessness, Cough and Sputum Scale”

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5131613/

Ressentez-vous de la difficulté à respirer aujourd’hui ?

0 = Aucune difficulté ressentie

1 = Légère : perceptible lors d’une activité intense (par exemple, courir)

2 = Modérée : perceptible même lors d’une activité légère (par exemple, faire le lit ou porter les courses)

3 = Marquée : perceptible au moment de se laver ou s’habiller

4 = Sévère : presque constante, présente même au repos

A quelle fréquence toussez-vous aujourd’hui ?

0 = Aucune toux : je n’ai pas remarqué avoir toussé

1 = Rare : je tousse de temps en temps

2 = Occasionnelle : moins d’une quinte de toux par heure

3 = Fréquente : au moins une ou plusieurs quintes de toux par heure

4 = Presque constante : jamais exempté(e) de tousser ou du besoin de tousser

Ressentez-vous une gêne à cause des sécrétions/crachats aujourd’hui ?

0 = Aucune gêne

1 = Légère : rare gêne occasionnée

2 = Modérée : gêne perceptible

3 = Marquée : beaucoup de gêne occasionnée

4 = Sévère : gêne presque constante

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