Renforcer l'Adhésion aux Exercices : le nombre d’exercices
Par Guillaume Deville
Comment un simple acte pendant la consultation peut-il influencer l'adhérence aux exercices prescrits ? Découvrons-le dans ce huitième article de ma série basée sur les travaux de Rachel Chester ( ici ). Pour rappel, il s’agit d’une revue de portée, ou scoping review, qui a permis d’identifier 13 déterminants clés associés avec une meilleure adhésion aux propositions d’auto-traitement et d’exercices à la maison, comprenez les barrières et les stratégies facilitatrices. Parlons du 9e déterminant : le nombre d’exercices prescrit.
Intérêts d’être attentif au nombre d’exercices proposé
Il peut sembler évident que plus le nombre d’exercices proposé est grand, plus il sera difficile pour le patient de les implémenter, voici quelques raisons :
Le manque de temps est un des facteurs les plus souvent évoqués par les patients lorsqu’ils rencontrent des difficultés à pratiquer des exercices à la maison. Il est clair que plus il y aura d’exercices, plus il faudra dégager du temps. Parfois la vie du patient fera que ce temps sera trop compliqué à trouver. Et parfois, même si ce temps est potentiellement disponible, la perception du patient fera qu’il pense le contraire et il n’essaiera même pas de vérifier. De plus, certains patients vivent des états émotionnels compliqués, lorsqu’ils souffrent depuis longtemps par exemple, qui rendent encore plus difficile de trouver le courage de réaliser un programme d’exercices qui leur parait nécessiter beaucoup d’efforts. Et plus ce programme comporte d’exercices, plus l’effort sera important.
Le nombre de détails à mémoriser pour la personne augmente avec le nombre d’exercices qu’elle doit réaliser. Elle peut ne pas se souvenir de certains éléments de son programme. Par exemple elle peut oublier un des exercices. Elle peut aussi oublier un détail important pour la bonne réalisation d’un exercice et ne pas le pratiquer convenablement. Dans ce cas, il est possible que l’exercice modifié ne soit pas efficace et qu’elle perde son temps, ou pire encore, que la modification provoque un effet délétère avec par exemple une exacerbation de ses symptômes. Dans ce cas beaucoup de patients préfèreront stopper cet exercice, voire même l’ensemble du programme d’exercices. Et à nouveau, elle peut avoir peur de ne pas se souvenir correctement et donc ne pas oser pratiquer un ou plusieurs exercices par prudence, pour “ne pas faire de bêtise”.
Comme nous l’avons vu dans mon blog précédent sur le déterminant numéro 8, plus un patient pense qu’un exercice est efficace, plus il est probable qu’il le pratique. Alors que certains patients vont penser que plusieurs exercices sont plus efficaces qu’un seul, d’autres auront besoin de comprendre pourquoi chaque exercice est efficace. Plus le nombre d’exercices augmente et plus la probabilité que le patient doute de l’efficacité d’un des exercice augmente, avec le risque qu’il ne pratique pas l’ensemble de son programme. Même chose pour le kinésithérapeute qui devra s’assurer que le patient comprend l’intérêt de chacun des exercices, ce qui lui demandera parfois trop de temps de séance. Et lorsqu’il arrivera à trouver ce temps, il prendra le risque de créer une surcharge cognitive pour son patient en partageant trop d’informations et en augmentant le risque que le patient ne comprenne pas ou ne se rappelle pas de tout et donc le risque qu’il oublie ou qu’il n’ose pas pratiquer certains exercices de son programme.
Le risque de mal doser un exercice augmente inévitablement avec le nombre d’exercices. Pour certains patients, un mauvais dosage sur un seul des exercices peut réveiller leurs symptômes et les inciter à stopper l’ensemble de leur programme. Et pour le kinésithérapeute, l’évolution sera plus facile à suivre et à calibrer avec moins d’exercices, que ce soit pour comprendre d’éventuels surdosages, ou bien pour savoir quand il est possible d’augmenter la difficulté ou qu’il est nécessaire de la réduire.
Stratégie pratique et pièges à éviter
Je vous propose d’approfondir le premier facteur évoqué précédemment, une des barrières les plus fréquentes :
Le manque de temps
Face à un patient qui dit ne pas avoir le temps nous pouvons tomber dans le piège d’essayer de le convaincre du contraire. J’observe souvent ce genre de tentative lorsque je joue le rôle du patient dans les formations que j’anime. Les consoeurs et confrères kinés essaient de me faire dire que je peux trouver le temps, ou bien que c’est quand même important de m’occuper de mon problème. C’est notre rôle d’aider nos patients à réfléchir à comment intégrer un programme d’exercice dans leur quotidien. Toutefois, la manière de nous y prendre est cruciale. Elle va dépendre de notre état d’esprit.
Notre bienveillance va naturellement nous pousser à vouloir convaincre le patient. Comme nous sommes convaincu qu’il peut aller mieux en pratiquant ses exercices, le pousser à les faire, peu importe les moyens, c’est l’aider lui. Nous faisons donc preuve de bienveillance. Et parfois cette stratégie fonctionne. Nous arrivons à convaincre certains patients de dégager plus de temps. Il est donc naturel de retenter notre chance avec les suivants. Mais voilà, cette bienveillance, bien que toujours nécessaire, ne suffit pas toujours. Elle nous conduit souvent au réflexe correcteur ( blog détaillé sur la bienveillance et le réflexe correcteur).
Notre bienveillance peut être contreproductive
Imaginez que votre vie est très intense, que vous êtes déjà très frustré de ne pas trouver plus de temps à partager avec vos proches, ou à vous consacrer à vous-même pour des loisirs qui vous tiennent à coeur. Par dessus tout ça, vous ajouter une douleur qui est présente depuis des semaines voire des mois, qui vous ralentit dans ce que vous avez à faire et donc réduit encore plus le temps que vous pourriez consacrer à quelque chose qui pourrait vous faire du bien. Vous n’en pouvez plus de cette situation et vous avez besoin de diminuer vos douleurs pour retrouver de l’efficacité dans vos différentes tâches professionnelles et personnelles. Vous en avez marre d’être aussi inefficace au travail, de ne pas avancer sur vos projets, de ne pas entretenir votre maison correctement, etc. Et surtout vous avez besoin de vous sentir bien, de retrouver enfin des moments pour vous. Vous y êtes ? Maintenant, imaginez que quelqu’un vous dise qu’il faut trouver 30min par jour dans vote quotidien pour réaliser des exercices, et surtout que cette personne vous présente cette idée comme si c’était très simple de l’appliquer. A nouveau, peut-être que vous allez vous laisser convaincre, ça peut arriver. Mais deux autres scenarii existent : c’est soit de voir votre sentiment d’efficacité personnelle s’effondrer, soit d’essayer plus ou moins consciemment de le protéger à tout prix.
Dans le 1er scenario, vous allez culpabiliser, vous sentir complètement nul. Votre sentiment d’efficacité personnelle va s’effondrer. Et comme nous l’avons déjà évoqué dans un blog précédent sur le 6e des 13 déterminants identifiés par l’équipe de Rachel Chester, si vous ne vous sentez pas capable de faire vos exercices, il est évidemment moins probable que vous les fassiez.
Dans le 2e cas, vous allez justifier le fait que vous ne pouvez pas trouver de temps. Vous protégez alors, souvent inconsciemment, votre sentiment d’efficacité personnelle. Plus vous donnerez des raisons de ne pas pouvoir pratiquer vos exercices, plus la probabilité que vous les fassiez va diminuer. Et si jamais le kiné en face de vous insiste, il va vous paraitre de plus en plus antipathique. Clairement son manque d’empathie va dégrader votre alliance thérapeutique.
S’extirper du rôle du sauveur
Pour accompagner un patient plus efficacement dans cette réflexion, ce qui peut vous aider c’est de changer de posture, changer d’état d’esprit. Pour cela, il est nécessaire de nous débarrasser de l’idée que notre rôle est de soigner les patients. Si nous pensons ainsi, chaque fois qu’un patient ne va pas mieux, nous sommes en échec, et nous risquons nous considérer comme un mauvais thérapeute. Nous pouvons aussi protéger notre confiance en nous en rejetant la faute sur le patient. Plus notre confiance en nous est faible, plus c’est une ressource précieuse, et plus il est vital de la préserver, souvent inconsciemment. L’autre voie sera de prendre la faute sur nous. Et cette voie périlleuse peut nous conduire à une perte de sens de notre rôle en tant que soignant et nous pousser à l’épuisement professionnel, au burn out.
La posture qui peut nous aider sera de nous dire que nous sommes là pour aider nos patients à faire leurs propres choix. Notre rôle en tant qu’expert sera alors de leur offrir la possibilité de faire des choix éclairés par nos connaissances scientifiques et notre expérience professionnelle. A partir du moment où un patient choisi une option de traitement, ou d'absence de traitement, en connaissance des avantages et des risques à faire ce choix, nous l’avons accompagné de notre mieux. C’est l’essence même du concept de prise de décision partagée. En adoptant cette posture, l’enjeu de convaincre le patient, de le rallier à notre avis, disparaît. Nous devenons à l’aise avec le fait qu’un patient choisisse une option qui n’est pas celle qui nous semble la meilleure car nous respectons le fait que nous ne détenons pas la vérité, et surtout que sa vérité peut être différente de la nôtre. Nous respectons complètement une dimension souvent oubliée de la pratique EBP : les valeurs et préférences du patient, au lieu d’être obnubilé exclusivement par les données actuelles de la science, ou plus précisément par une mauvaise compréhension de l’utilité des données de la recherche quantitative. Je rencontre trop souvent cet écueil : penser que les études quantitatives nous donnent accès à la vérité et tout miser dessus. C’est rassurant de croire qu’on détient la vérité, mais ce raisonnement est erroné. Si vous souhaitez que je développe ce sujet, n’hésitez pas à me le faire savoir sur X ou Instagram.
Conclusion
Ce que je vous écris ici est le fruit de mon expérience professionnelle, de mes différentes lectures et probablement aussi de mes expériences personnelles. Il existe de multiples manières d’envisager la problématique et d’y répondre. Il vous appartient de voir comment vous souhaitez tester mes propositions et comment les adapter à votre vision de notre métier. A nouveau, n’hésitez pas à partager vos réflexions avec moi sur les réseaux sociaux X et Instagram.
Cette année, en 2024, je vous proposerai un blog sur chacun des 12 autres déterminants identifiés par Rachel Chester et son équipe. J’espère que ça pourra vous être utile d’une manière ou d’une autre. Au plaisir de lire vos retours et de vous croiser en formation ou ailleurs. Prenez bien soin de vos patients et surtout n’oubliez pas de prendre bien soin de vous.