Entretien Motivationnel : manifester son empathie par le reflet

Par Charles Lagaert et Guillaume Deville

Dans notre pratique quotidienne, nous sommes souvent amenés à conseiller nos patients sur les comportements qu’ils devraient adopter pour améliorer leurs symptômes, et plus globalement leur santé. Notre expertise professionnelle semble nous conférer un avantage indéniable sur nos patients. A priori, nous connaissons mieux les principes physiologiques associés à un meilleur état de santé. Mais cette expertise peut aussi nous conduire à adopter un style de communication directif, qui ne sera pas toujours favorable. Une fois que nous avons pris conscience des méfaits de notre réflexe correcteur (voir blog sur le sujet), nous avons besoin d’identifier les outils de communication qui permettront de faciliter l’éducation de nos patients. En effet, il sera parfois nécessaire de transmettre nos connaissances à certains patients afin qu’ils puissent amorcer un changement de comportement favorable à leur état de santé.  

Un exemple de situation clinique pour contextualiser

Pour illustrer mon propos, je vous propose de prendre l’exemple d’une patiente qui se présente à vous avec une tendinopathie d’Achille (non réactive). Cette personne ressent une vive douleur lorsqu’elle court. Même si elle essaye de supporter et de dépasser sa douleur pendant ses sorties, elle ne peut pas les terminer. Ses symptômes sont trop intenses et elle doit systématiquement s’arrêter. Ses douleurs sont majorées le lendemain de chaque séance, puis elles s’estompent spontanément dans les jours qui suivent. Chaque week-end, elle recommence le même cycle qui lui semble sans issue et sans fin.

Admettons qu’il vous paraît pertinent de proposer à cette patiente un protocole d’exercices spécifiques qui respecte les principes d’une exposition graduelle aux contraintes mécaniques et d’ajuster la quantification des sorties de course à pied. Cependant, votre patiente a un objectif important : elle veut participer à une course ; et elle continue ses sorties sans changer le programme d’entrainement qu’elle s’est fixée au début de sa préparation, peu importe vos conseils.     

Face à ce constat, en tant que thérapeute, il semble légitime que vous ressentiez de l’agacement, voire de la colère, ou encore de la lassitude. En effet, il peut être très frustrant de ne pas réussir à convaincre cette patiente de diminuer son activité de course à pied. Vous savez pertinemment que cela éviterait de relancer ses symptômes et offrirait la possibilité d’augmenter les capacités de son tendon. Ce scenario rendrait peut-être même possible l’atteinte de son objectif. Elle aurait une chance de participer à sa course. Dans ce type de situation où nous sommes convaincus que nous pouvons aider une personne, voir qu’elle ne suit pas nos conseils peut générer en nous un sentiment d’impuissance. Malgré toute notre volonté et toute l’énergie que nous dépensons pour l’aider, parfois rien ne change, et notre frustration grandit à chaque séance. Est-ce que ce genre de situation et de sentiments vous parlent ?

Une expérience cognitive pour mieux comprendre ce qui se joue.

Je vous propose maintenant de faire un pas de côté pour regarder le problème sous un angle différent. Puisez au fond de vous et identifiez un comportement que vous avez envie de changer depuis assez longtemps, quelque chose qui compte vraiment pour vous, mais que vous n’avez pas encore réussi à changer. Vous connaissez les bénéfices de ce changement, mais il est difficile à réaliser. Prenez le temps de formuler ce changement, à l’oral ou même à l’écrit.

« Ça fait longtemps que j’aimerais vraiment…, mais… »

Imaginez maintenant que vous venez d’expliquer votre dilemme à un proche. Après lui avoir raconté votre histoire, il vous donne immédiatement tout un tas de conseil pour résoudre votre situation. A l’entendre, effectuer ce changement si compliqué pour vous serait pourtant très simple. Il ne se rend pas du tout compte des difficultés que vous ressentez ; il ne les considère même pas.

« Écoute, c’est facile, ce que tu dois faire c’est… »

Dans cette situation, quelles sont vos pensées ? Prononcez-les à haute voix ou notez-les si vous pouvez et essayez de ressentir les émotions qui accompagnent ces pensées. Si vous ne pouvez pas parler ou écrire, concentrez-vous très fort sur vos pensées, puis prêtez attention à l’émergence de vos émotions.  

« Mes pensées en entendant mon ami.e me dire que c’est facile sont…
Elles s’accompagnent des émotions suivantes : … »

Je vais essayer d’imaginer des réponses que vous pourriez proposer. Peut-être que vous vous dites simplement qu’il ne vous a pas bien écouté, qu’il ne vous a pas compris. Vous pouvez aussi penser qu’il n’a aucune empathie : c’est injuste de penser que ce changement est facile ! Ou encore, vous réalisez que vous connaissez déjà tous les conseils qu’il vous donne et pourtant vous n’avez pas réussi à changer. Est-ce que vous n’avez simplement pas les capacités requises pour passer ce cap ? Vous n’êtes pas assez bon ? Si vos pensées correspondent à ces propositions, il est probable que les émotions associées soient négatives (agacé, en colère, accablé, sentiment d’infériorité, etc.). Et par conséquent, il se pourrait que vous n’ayez pas envie de continuer de parler de ce sujet avec ce proche et que vous n’ayez pas envie de suivre ses conseils non plus.

Mais comment faire alors dans ce genre de situation ?

Réfléchissez à nouveau, qu’est-ce qui pourrait vous faire du bien dans un premier temps lorsque vous partagez quelque chose de difficile à quelqu’un ? Oui une solution adaptée, à laquelle vous n’avez pas encore pensé et qui résoudrait votre problème sans aucune friction pourrait beaucoup vous aider ! Malheureusement, il arrive souvent que même les meilleures solutions comportent des inconvénients. Si nous reprenons l’exemple de notre patiente, diminuer la difficulté de ses sorties en course à pied pourrait l’aider à ne plus relancer sa douleur, mais elle risque ne pas pouvoir participer à cette course pour laquelle elle s’est tant investie depuis des mois.

Pour beaucoup d’entre nous, ce qui peut faire du bien c’est que notre interlocuteur commence par nous manifester qu’il a entendu nos difficultés. Avoir affaire à quelqu’un qui semble comprendre que notre situation n’est pas facile est rassurant. Et pour aller encore un peu plus loin, ressentir une forme d’autorisation de ne pas changer valide notre comportement jusqu’ici. Ce genre d’interaction diminue notre sentiment de culpabilité et d’incapacité. Pour le dire autrement, notre sentiment d’efficacité personnelle est préservé. Pour arriver à ce résultat, il suffit que votre interlocuteur prenne le temps de simplement entendre  vos difficultés à mettre en place le changement qui pourrait vous aider ; et qu’il vous manifeste son empathie verbalement sans immédiatement chercher à vous donner la solution qu’il imagine pertinente pour vous.

Notre bienveillance peut nuire à notre empathie

Si nous revenons à notre patiente coureuse, elle peut avoir plein de raisons de vouloir continuer à pratiquer la même quantité de course à pied. Comme nous l’avons déjà mentionné, elle voit son échéance arriver. Mais peut-être aussi qu’elle court avec une amie qui a vraiment besoin d’elle à ses côtés en ce moment, peut-être qu’elle ressent le besoin de se défouler pour mieux supporter une période difficile sur le plan personnel ou professionnel, etc.  Ses objectifs et son engagement personnel sont le fruit de toute sa personnalité profonde et de son vécu actuel et passé.

De notre côté, en tant que thérapeute, nous cherchons évidemment à l’aider. Et lorsque la solution nous paraît évidente. Il est logique de s’empresser de la partager à notre patiente. C’est à la fois notre bienveillance à aider l’autre et notre qualité d’expert qui nous poussent à prendre le raccourci de donner la solution qui nous parait la plus pertinente. Cette démarche souvent automatique est pavée de bonnes intentions. Et pourtant, elle sera parfois perçue comme un manque d’empathie et pourra menacer le sentiment d’efficacité personnelle de notre interlocuteur.

Comment guider la patiente pour sortir de cette impasse ?

Le reflet de l’Entretien Motivationnel est un des outils qui peut être utilisé pour améliorer cette situation. Le reflet consiste à redire à la personne ce qu’elle vient de nous confier, en gardant ses mots ou en les modifiant, en interprétant ou non.

Simplement redire à notre patiente ce qu’elle vient de nous dire peut paraître trop simple pour faire une différence. Et pourtant, sortir de notre conditionnement à trouver immédiatement la solution, s’affranchir de cette représentation sociale de notre rôle de professionnel de santé, permet de laisser la place à une meilleure compréhension de nos patients, à l’émergence de leurs propres solutions, ou à des propositions de solutions plus pertinentes de notre part. Utiliser une technique aussi simple que de formuler un reflet dans un premier temps renforce l’alliance thérapeutique, aide le patient à se sentir compris, dans ses mots et dans son comportement, ne lui retire pas le pouvoir de trouver une solution par lui-même et d’en être fier ou au moins rassuré. Prendre ce temps du reflet empathique semble un investissement qui demande peu pour potentiellement obtenir beaucoup.  

« Se donner du mal pour les petites choses, c’est parvenir aux grandes avec le temps ».
Samuel Beckett

Mon propos ne vise pas à remettre en cause l’utilité de notre expertise, bien sûr que non. Elle reste un élément déterminant dans la réussite de nos traitements. En Entretien Motivationnel, nous utiliserons l’outil DDPD pour partager notre expertise (série de vidéos sur le sujet). Cette réflexion propose de réfléchir au moment le plus adapté pour l’utiliser. Elle nous invite simplement à prendre le temps de montrer à l’autre que nous l’écoutons et que nous le comprenons, sans arrière-pensée, sans chercher à lui faire prendre un chemin plutôt qu’un autre. Pour faciliter cette démarche, il sera aidant d’en savoir suffisamment sur notre interlocuteur, de connaître son histoire, son contexte singulier. Essayer de se mettre à sa place et de se dire que même s’il nous semble que son comportement actuel est défavorable, si nous avions le même vécu, les mêmes connaissances, il est bien possible que nous aurions adopté le même comportement.

« L’expression la plus élevée de l’empathie est l’acceptation de l’autre et le non-jugement. »
Carl Rogers

Manifester notre empathie avec sincérité nécessite d’accepter la différence, d’accepter le fait que la personne a ses propres raisons de faire ses choix. Comprendre et appliquer ces principes démontre une grande richesse émotionnelle et psychologique. Nous avons le devoir de prendre le temps pour ceux qui en ont besoin, de chercher à explorer profondément leur point de vue et de manifester verbalement notre compréhension de la situation. Le reflet est alors l‘outil de référence en Entretien Motivationnel pour manifester notre empathie à l’autre.

La pratique du reflet est simple, mais la maitriser n’est pas forcément facile et demande de l’entrainement et du temps. En Entretien Motivationnel, différents types de reflets conviennent à différentes situations et différents objectifs. Nous disposons des reflets simples, des reformulations, des reflets de sentiment, du prolongement d’idée, des métaphores, des reflets amplifiés et même des doubles reflets. L’art du reflet est riche. Parfois complexe initialement, il facilite notre relation à l’autre et fluidifie nos prises en soins. Si vous êtes intéressés, je vous invite à visiter la page dédiée à notre cursus complet de formation à l’Entretien Motivationnel. Et si vous voulez tenter par vous-même voici quelques exemples que nous pourrions utiliser pour notre patiente coureuse :  

 « C’est important pour vous de tout faire pour atteindre votre objectif. »

« Ça doit être frustrant pour vous de ne plus arriver à terminer vos sorties. »

« Ces douleurs vous empêchent de pratiquer la course comme vous le souhaitez et elles sont aussi présentes dans votre quotidien. »

« Ce n’est pas juste de faire autant d’efforts et de voir la situation se dégrader. »

« Votre besoin de courir est plus fort que votre douleur. »

« Votre capacité à persévérer est une force, et en même temps vous n’arrivez pas à vous libérez de vos douleurs. »

« Cet objectif de course à pied compte beaucoup pour vous. »

« Vous avez vraiment besoin de trouver comment sortir de cette boucle qui semble sans fin. »

Etc.

Conclusion

Les situations de nos patients sont toutes différentes. Pour certaines, il semble intéressant de ne pas se laisser entrainer par notre bienveillance qui nous pousse à donner tout de suite nos solutions. Il est parfois utile voire nécessaire de prendre le temps de manifester notre empathie et le reflet est un outil adapté. Cette étape intermédiaire peut permettre de gagner du temps pour la suite, en renforçant l’alliance thérapeutique, en évitant des conseils inadaptés, en évitant que nos patients les rejettent, nous rejettent et nous fassent ressentir des émotions négatives. Aider ce n’est pas foncer tête baissée en utilisant une stratégie, une recette identique pour tous nos patients, c’est sans doute plutôt individualiser nos traitements en étant centré sur la personne. L’empathie par le reflet nous y aide grandement.

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