Naviguer l'inconfort : le pouvoir de l'acceptation dans le soin
Par Camille Leteurtre
Lors de mon dernier cours co-enseigné avec l’extraordinaire Tamar Pincus, malgré toutes les notions à aborder, nous avons choisi de ralentir et de nous concentrer sur un moment crucial des consultations cliniques : le moment où nous introduisons le lien entre corps et esprit ; plus particulièrement, en accompagnant une personne qui vit avec des douleurs chroniques. C’est un moment où nous la guidons vers un changement de paradigme. Nous l’aidons à passer de l’idée de contrôler la douleur pour pouvoir reprendre les activités qui ont du sens, à celle d’explorer une approche basée sur les valeurs pour reconnecter avec la vie, malgré la douleur et la détresse associée.
Lors de ce moment clé, nous avançons avec la personne vers l'acceptation de la douleur, de la frustration, de la honte, de la peur, et de toutes autres expériences liées à cette douleur. Nous invitons à explorer une perspective où ces ressentis ne seraient pas des échecs, ni même une fatalité, mais une réalité humaine du moment présent, qui ne serait pas pour autant synonyme de désespoir. La théorie sur l'acceptation et comment guider ce processus est bien documentée, notamment avec le modèle ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement). Mais il est facile de tomber dans un piège : comprendre ces concepts de manière uniquement cognitive. Il y a la théorie, puis il y a la pratique… et c’est là que nous nous frottons inévitablement à « l’inconfort ».
Vivre ce moment d’inconfort dans le soin me confronte systématiquement à ma croyance profonde que mon rôle est de soigner la personne, en réduisant sa douleur et en améliorant sa fonction. Cette conversation sur l’acceptation peut créer chez moi un sentiment d’échec, lié à un sentiment d’être responsable de la souffrance de la personne en face de moi.
Je ressens alors en moi une envie irrésistible de rassurer la personne, de lui dire que “nous allons trouver une solution, essayer autre chose, un autre exercice, consulter un autre spécialiste, peut-être faire une pause pour réessayer plus tard, mais que, d'une manière ou d'une autre, la douleur disparaîtra !”
Je ressens une boule dans mon ventre et une sécheresse dans ma gorge. Dans ces moments, mes pensées s’accélèrent, faisant trébucher dans ma bouche les mots lancés dans une course à « la bonne façon de dire les choses ». Mes yeux résistent soudainement à regarder le visage de la personne, et mes mains se découvrent le besoin de s’agiter, dans une tentative de distraction pour prétendre à une assurance et dans l’espoir que plus elles bougent vite, plus le temps de la consultation s’accélèrera pour pouvoir enfin arriver au bout de ce moment si difficile. C’est tout cela, l’inconfort.
En juin dernier, pendant le cours avec Tamar, guider le groupe dans l’exploration de cette conversation m’a également fait vivre ces sensations. Lors des exercices avec les participants, je sentais que l’atmosphère devenait plus dense et les respirations plus difficiles. Les pieds n’étaient plus tout à fait ancrés, et le besoin des cliniciens se faisait sentir : accélérer le rythme de l’échange pour passer à la suite et pouvoir enfin revenir en terrain familier. Je remercie Tamar qui, par sa présence, nous a permis de ne pas reculer devant la difficulté, ni de minimiser l'ampleur du défi. Nous avons travaillé à ressentir notre propre inconfort de cliniciens, et à l’accepter, comme un élément normal lorsque nous explorons ce changement de paradigme avec nos patients. Ce changement reste si peu naturel dans le contexte de nos racines professionnelles.
Ainsi, lorsque l’inconfort nous pousse à l’évitement et à la prise de pouvoir sur le déroulé d’une consultation, nous avons la capacité de nous équiper, de développer l’habilité à rester avec lui, et à faire le choix ne pas nous précipiter. Nous avons la capacité à être humbles, honnêtes et vulnérables, tout en restant stables et ancrés, en présence des sentiments de peur et d’incertitude. Je suis convaincue que nous avons les qualités pour naviguer à travers de tels moments avec empathie. Ce qui semble être un moment d’intense désespoir peut être transformé. Et de cette conversation peuvent naître de nouvelles possibilités d'action et de connexion qui visent à améliorer la qualité de vie de la personne.
Et pour nous, de ces sentiments si désagréables, peut émaner une nouvelle définition du verbe « soigner ».
Camille
Découvrez le cours de Camille Leteurtre et Tamar Pincus 👇
Comprendre et utiliser la psychologie dans le traitement de la douleur chronique musculo-squelettique