Observation, Expérimentation et Pratique réflexive : trois piliers du développement professionnel en kinésithérapie

Par Camille Leteurtre

 

Faire un master laisse des traces… j’ai développé un côté geek dès lors qu’il s’agit d’éducation et de transmission de connaissances en santé. Alors à la publication du RESTORE trial, mené par Peter Kent et l’équipe de Peter O’Sullivan, le paragraphe vers lequel je me suis élancée est celui sur la formation des physiothérapeutes qui ont délivré l’intervention dans l’étude.
De quoi était faite cette formation ? Quel était son contenu et sous quelles modalités ?

 Mon intérêt est d’autant plus grand que la majorité des qualités et outils thérapeutiques utilisés dans la CFT ne sont pas uniques à ce modèle. Comme je l’ai souligné dans un blog précédent, ils sont communs aux différentes approches adoptant un prisme biopsychosocial en pratique, donc embrassant la multi-dimensionnalité de la santé et de la maladie. En effet, les capacités et les qualités développées lors de la formation à la CFT sont résumées comme ceci-ci :

  • Des qualités de communication et de soins centrés sur la personne.

  • Des capacités à identifier, explorer et cibler les facteurs moteurs de la douleur et de l’incapacité fonctionnelle, spécifiques et pertinents à la personne ; par exemple : ses croyances et ses réponses émotionnelles et comportementales vis-à-vis de la douleur.

  • Des techniques pour guider le changement de comportement afin d’aider (1) l’adoption d’une attitude positive à propos de la douleur et du corps, (2) l’indépendance dans la gestion de la douleur, (3) l’introduction d’un style de vie plus sain.

Alors en pratique, voici ce que l’équipe a publié sur le format de la formation des physiothérapeutes :

  • 18 physiothérapeutes ayant un intérêt dans l’application du modèle biopsychosocial ont été recrutés et placés dans 2 groupes.

  • 2 formateurs avec de l’expérience animaient chacun un groupe.

  • La formation était de 80 heures (2 jours par mois pendant 6 mois) et constituée de :

- Présentations de type conférence

- Observations de démonstration de séances de prise en soins de patients par les formateurs en live

- Séances de supervision en groupe où chaque participant évaluait un nouveau patient en live, devant le groupe. Cette évaluation était suivie d’une discussion réflexive de groupe et d’un retour écrit personnalisé par le formateur du groupe

  • Accès à des ressources en lignes (livres, vidéos, etc.)

  • Accès à de la supervision à distance, via un groupe Facebook privé

  • Après les 6 mois, pendant la durée de l’étude, un suivi était offert sous la forme d’une réunion de groupe, en ligne, tous les 3 mois, afin de discuter de cas complexes.

Lire cela me renvoie à mon parcours de changement de pratique clinique, mon parcours universitaire et mon parcours de formatrice.

Je me souviens avoir assisté à deux conférences de Peter O’Sullivan à Londres, en 2017 puis en 2019. Alors que lors de la première session je me laissais porter par la découverte, lors de la deuxième je m’engageais dans un examen intense des détails dans le style de communication et dans la dynamique entre Peter et les patients. J’étais là pour observer activement, pour décortiquer et autopsier les mots, les silences et les postures.

Cet apprentissage par l’observation, je l’ai reproduit lorsque j’ai commencé à travailler à INPUT (St Thomas’ Hospital, Londres), le centre de management de la douleur où je travaille actuellement. J’ai passé plusieurs mois à observer de près mes collègues, les autres physiothérapeutes mais aussi les psychologues et les ergothérapeutes.
Je notais, comme s’il s’agissait d’un dialogue de théâtre, les mots que j’entendais – je confesse d’ailleurs avoir toujours sur mon ordinateur un document nommé ‘Punch lines’ dans lequel j’ai regroupé certaines conversations entendues à cette période… Cela m’aidait à guider ma métamorphose.

Avez-vous eu l’opportunité d’observer des collègues ?

Quels apprentissages avez-vous tirés de ces observations ?


Au cours de mon Master, j'ai eu l'occasion d'interroger des physiothérapeutes sur l'évolution de leurs pratiques vers des approches informées par la psychologie.
Je vous en dirai plus une fois mon futur article publié… mais je m’autorise un peu de teasing : tous m'ont affirmé avoir, entre autres, adopté une méthode d'apprentissage basée sur l'observation.

D’une part, observer des pairs ouvre la porte à des approches qui, à première vue, peuvent sembler hors de notre champ de compétence. On ressent que la permission nous est donnée de sortir de la norme historiquement biomécanique de la profession de kinésithérapeute. Ces observations valident aussi les difficultés rencontrées à mettre en pratique des stratégies de communication et de changement de comportements, ainsi que les émotions fortes que nous pouvons ressentir en travaillant avec des personnes vivant des situations complexes.

D’autre part, ces expériences d’observation offrent un point de départ à la pratique. Nous allons ensuite mimer ce que nous avons observé : l’apprentissage par l’observation devient un apprentissage par l’expérience. Nous copions, nous reproduisons, et finalement nous nous approprions. Nous trouvons notre propre façon d'utiliser les mots, d’explorer les croyances du patient, de répondre à ses émotions et de challenger ses comportements. Au fur et à mesure, nous devenons plus agiles et flexibles dans la manière dont nous accompagnons la personne.

Finalement, l’apprentissage devient réflexif. Les moments d’incertitudes, de maladresse ou de cafouillage existent et existeront toujours. C’est normal ! L’être humain est si complexe. La supervision, en binôme ou en groupe, offre cet espace pour revisiter nos expériences, pour identifier ce qu’il s’est bien passé et ce qui a posé difficultés et pour envisager et explorer d’autres perspectives, d’autres ressources, d’autres façons de faire possibles.

 

Pouvez-vous penser à une situation avec un patient où vous auriez aimé pouvoir être une petite mouche sur le mur pour pouvoir vous observer ?

 

Dans le contexte de la formation des physiothérapeutes qui ont délivré la CFT dans le RESTORE trial, la supervision sur vidéo a aussi été utilisée. Un outil pédagogique qui peut être extrêmement puissant, à partir du moment où il est proposé dans un contexte approprié de confiance et de bienveillance. Il offre une opportunité pour une vraie prise de conscience de nos mécanismes et un temps pour étudier la danse entre le patient et nous-même.

 

Avez-vous déjà eu l’occasion de faire ce travail sur vidéo ?

Qu’est-ce qui vous permettrait de vous sentir suffisamment à l’aise pour tenter l’expérience ?

 L’acquisition de nouvelles connaissances théoriques est essentielle, bien sûr, mais insuffisante au passage à l’action (cf. mon blog sur le changement de comportement).

L’observation, expérience et réflexion, sont les trois procédés clés aux changements des pratiques. Dès lors que nous acceptons ces principes avec humilité, l’apprentissage devient riche et continu.

 

Camille Leteurtre

 

Bonus

Aller… petit bonus. Des extraits de ma collection de ‘Punch lines’ :

- « Qu’aimez-vous faire ? Qu’est-ce qui vous amène de la joie et du plaisir aujourd’hui ? »

-  « C’est ok, vous pouvez pleurer. Je suis sincèrement désolée de vous demander ce qu’il manque à votre vie d’aujourd’hui. C’est une question difficile parce que c’est exactement là qu’on touche au fond des choses. Si les choses qui nous manquent ne nous font pas pleurer, ne nous rende pas triste, alors c’est que ces choses-là ne sont pas si importantes pour nous, n’est-ce pas ? Ce dont nous parlons maintenant, c’est exactement des choses qui font que nos vies sont plus agréables à vivre »

- « Nous essayons tous d’échapper aux expériences et aux sensations négatives. Et en même temps, à quel point est-ce que ces tentatives d’évitement impactent notre capacité à faire les choses dont nous avons envies ? »

- « Ce que nous faisons avec ces exercices est simplement un travail pour prendre conscience de ce qui influence nos choix, nos mouvements et nos comportements »

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Références

Burford, B. (2012). "Group processes in medical education: learning from social identity theory." Medical education 46(2): 143-152.

Cross, V. (2006). The practice-based educator: a reflective tool for CPD and accreditation. Chichester, John Wiley & Sons.

Eeckhout, T. et al. (2016). “Video training with peer feedback in real-time consultation: acceptability and feasibility in a general-practice setting”. Postgrad Medical Journal; 92(1090): 431-5.

Galea Holmes, M. N. et al. (2021). "Experiences of training and delivery of Physical therapy informed by Acceptance and Commitment Therapy (PACT): a longitudinal qualitative study." Physiotherapy 112: 41-48.

Hammond, R., V. Cross and A. Moore (2015). "The construction of professional identity by physiotherapists: a qualitative study." Physiotherapy 102(1): 71-77.

Hammoud, M. et al. (2012). “Is video review of patient encounters an effective tool for medical student learning? A review of the literature” Advance Medical Education Practice 22(3): 19-30.

Hotho, S. (2008). "Professional identity - Product of structure, product of choice: Linking changing professional identity and changing professions." Journal of organizational change management 21(6): 721-742

Kent P., et al. (2023). “Cognitive functional therapy with or without movement sensor biofeedback versus usual care for chronic, disabling low back pain (RESTORE): a randomised, controlled, three-arm, parallel group, phase 3, clinical trial”. The Lancet Journal 401(10391): 1866-1877

+ Training clinicians to competently deliver Cognitive Functional Therapy https://www.restorebackpain.com/clinican-journey

Leteurtre C., et al. “‘Learning by osmosis’: the transformative social identity journey of physiotherapists developing psychologically-informed practice”. Physiotherapy Theory and Practice. Accepted – under review

Maloney S. et al. (2013). “Implementing student self-video of performance”. The Clinical Teacher 10(5): 323-327

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